De vous à moi, je vais finir par croire qu’une force supérieure est bien là pour dicter nos pas… Des années passées chez les bonnes sœurs et chez les jésuites sans m’en convaincre mais quelques kilomètres dans le désert jordanien et paf, je change d’avis. Comment une simple étape sur un ultra a littéralement fait basculer ma vie…
Pour ceux qui n’auraient pas encore lu la genèse de mon aventure jordanienne, je remets le lien ici (épisode 1). Je reprends donc le fil de mon histoire : je suis au matin de la première étape, bien décidée à aller chercher bonheur dans le désert qui m’a tant donné toutes ces années. Pour rester dans le thème religieux, je vous jure que la première fois que j’y ai mis les pieds, je me suis sentie à la maison, comme si j’avais été bédouine dans une vie antérieure. Autant je me sens une étrangère à la montagne que j’adore pourtant ou pire dans la jungle, autant là… le sable, la chaleur, l’absence de végétation, tout cela ne me fait pas peur, je me sens comme dans un cocon. D’ailleurs je me demande toujours pourquoi Denis Villeneuve a choisi Zendaya, le rôle de Chani était fait pour moi ! Bref, tout ça pour dire que je suis heureuse mais vraiment heureuse d’être là. OK je panique un peu à l’idée de partir pour 250 bornes mais ceux qui me suivent depuis des années savent que j’ai des ressources souvent insoupçonnées et franchement mes Transrockies m’ont bien rassurée quand même.
Tout ça pour dire que je prends le départ tranquillou bilou parce que je sais que 5 étapes ça se gère dans le temps, et qu’un départ précipité serait tout sauf une bonne idée. Je papote à l’arrière du troupeau déchaîné avec Medhi, à une vitesse parfaite pour faire plus ample connaissance. Je ne panique pas du tout de ma place à l’arrière du classement, j’ai tellement vécu ça sur des courses où jour après jour je remontais laissant sur le bas-côté des personnes parties clairement trop vite, que franchement ça me passe largement par-dessus les couettes. Medhi finit par me laisser pour aller chercher bonheur et je reste seule tranquille dans mon désert que j’aime tant. Les CP passent et là tout d’un coup je trépasse… En une fraction de secondes, je repars dans ma triade infernale que je pensais pourtant derrière moi : tachycardie, tension basse et bien entendu les vomissements… Impossible de manger, ça encore je sais gérer mais de boire en plein désert pile à l’heure la plus chaude, c’est tout sauf une bonne idée. Le problème, c’est que je connais cette situation, j’ai déjà eu à la gérer, et je sais surtout qu’elle ne va pas passer.






Un 4×4 s’arrête avec un des médecins de la course qui tout de suite prend de mes nouvelles. Je peux difficilement lui dire que tout va bien, j’ai la tête qui tourne tellement que je suis à deux doigts de tomber. En une fraction de seconde, je demande à m’asseoir dans la voiture… En une fraction de seconde, je lui dis que j’arrête là et je referme la portière… En une fraction de seconde, je regrette évidemment d’avoir fait ça. La relative fraîcheur de l’habitacle m’aide à retrouver ma lucidité, mais très vite je ne vais pas regretter mon choix puisqu’ils devront s’arrêter deux fois pour me permettre de vomir ailleurs que sur la banquette arrière. Tiens, ça faisait longtemps que je n’avais pas fait ça devant un mec que je connais à peine ! Notons un grand progrès tout de même, je n’ai pas baptisé ses chaussures cette fois ! Je rentre au campement plutôt secouée et un peu dépitée. C’est bien gentil tout ça mais il me faut maintenant un plan B. Normalement j’ai deux possibilités si j’étais une coureuse « lambda » : rentrer à Amman ou repartir le lendemain sans possibilité d’être classée évidemment. Seulement vous le savez, je suis tout sauf une coureuse « lambda » moi ! Oh ça va, je rigole ! Je suis là pour mon job de journaliste et il me faut une histoire à raconter. Raconter celle de mon évacuation sanitaire à Amman le lendemain… Comment dire… ça le fait moyen. Je discute donc avec le big boss qui me propose dans ce cas d’intégrer carrément une équipe de bénévoles pour les jours restants. L’option 4×4 avec le photographe officiel et l’équipe vidéo m’intéressait moyennement pour tout vous dire, nous ne faisons pas le même travail, ils sont juste complémentaires. Moi j’ai besoin d’échanger avec les gens, pas de les immortaliser.
Voilà comment le lendemain matin à l’aube je fais la connaissance de Chris, le big boss du groupe, Jodi la « therapist » comme on dit chez les british et Izy la doc (pour Isabelle), Alec et Alex, nos deux Mc Gyver qui te construisent un abri avec 3 bouts de ferraille et un gros caillou, et nos deux chauffeurs Raed et Ahmed. Ah pour en finir avec mes histoires de santé, je n’ai réussi à remanger un bol de riz que plus de 24h après mon arrêt, le déjeuner du jour suivant je me suis contentée d’une barre d’amandes… C’est dire si je ne regrette vraiment pas de m’être arrêter. Mon cœur a lui aussi mis le même temps à se recaler, il aurait tout sauf raisonnable de repartir le lendemain dans ces conditions. C’est la vie, on ne va pas s’y attarder parce qu’il y a plus intéressant à raconter !
Sans le savoir, j’intègre la meilleure équipe forcément, non pas parce que les autres bénévoles sont moins bons évidemment mais parce qu’ils ont la charge chaque jour du CP1 et du CP5. Pour observer et vivre la course « sur le bas-côté », c’est en réalité la meilleure place. Je m’explique ! CP1, les coureurs arrivent souvent à fond, on est au 8ème kilomètre, les plus rapides arrivent en une quarantaine de minutes, les plus lents arriveront pile pour la barrière horaire en un peu moins de deux heures. Pour le CP5 là, même les premiers prennent souvent le temps de se poser deux minutes, enfin sauf Salameh évidemment qui survole et le sable et le classement. Pour les derniers, nous sommes comme une oasis dans le désert et c’est un vrai bonheur pour eux souvent de passer quelques temps chez nous. Je ne vais pas vous décrire le déroulé jour par jour ça n’aurait pas de sens mais plutôt ce qui va devenir mon quotidien pendant les 4 jours que je vais vivre à leurs côtés. J’ai souhaité rester sur le camp avec les coureurs, pour vivre la course au plus près d’eux, et oui ok, pour pouvoir papoter allègrement avec la team francophone le soir au coin du feu. Puisque vous l’avez compris nous devons forcément être présents à temps pour accueillir les coureurs au CP1, nous partons toujours avant eux, environ 30 minutes avant que soit donné le départ. Quand celui de la longue étape est donné à 4h du matin, je vous laisse imaginer l’heure à laquelle je me lève également…
Nous chargeons les deux véhicules avec tout le matériel et bien entendu surtout l’eau qui, et ça c’est super important de le noter n’est pas limitée pour les coureurs. Oui vous avez bien lu !!! Pas de carte de pointage, tu prends ce dont tu as besoin quand tu as besoin. Sans oublier l’eau chaude qui est prévue au camp, là aussi sans limite de quantité. Bon après tu ne te fais pas couler un bain non plus mais c’est quand même bien sympathique. Donc nous chargeons tout ce petit bordel, et direction le désert. En 10 minutes le CP est monté et surtout en 10 minutes nos gentils « drivers », comme c’est la coutume dans le désert, ont ramassé du bois sec et lancé la préparation du thé et du café.




Give me a C
Give me a P
Give me 1
Give me a CP1 !!!
Tous les matins on fait coucou à Salameh qui passe tel Speedy Gonzales sans s’arrêter, il chargera en eau au CP suivant et arrive quelques minutes plus tard, le top 10. Sans vouloir me la raconter, je crois que Brandon est plutôt content que je sois passée de l’autre côté de la barrière pour qu’il ait deux fois pendant la course la certitude de pouvoir parler français 😉. Au CP1, c’est ambiance formule 1, on remplit les flasques le plus vite qu’on peut, je deviens un Shadock qui pompe sans se poser la moindre question. Sincèrement il m’est arrivé de finir ce premier CP les épaules et les bras en feu ! Les derniers arrivent, on les bichonne, on le remet sur le chemin en leur donnant rendez-vous au CP5. En une heure on a vu tout le monde, il est enfin temps de souffler et d’aller reprendre un thé.


Nous démontons le CP pour filer au suivant. Et c’est parti pour une nouvelle balade désertique plus ou moins bien installée à l’arrière de la voiture, mais c’est carrément le kif absolu pour moi de vivre ces moments-là. Ce qui me fascine toujours c’est la capacité de nos chauffeurs à se retrouver dans le désert, ils tracent comme si c’était fléché, comme s’ils connaissaient par cœur chaque rocher, chaque dunette. Arrivée au CP5, là évidemment on a un peu de temps pour nous installer et généralement manger un morceau, que dis-je nous régaler d’une petite préparation là encore magnifiquement orchestrée par nos chauffeurs qui ont décidément toutes les qualités. C’est là qu’on enclenche le mode Suricate ! Le 4ème jour, notre CP était planqué entre deux parois vertigineuses, inutile de vous préciser que nos grimpeurs se sont régalés pour aller le plus haut possible guetter l’arrivée des coureurs. Je crois que c’est vraiment ce jour-là que j’ai le plus apprécié, tellement le lieu de toute beauté donnait envie de se poser un peu. C’est d’ailleurs ce jour-là que j’ai eu une petite histoire avec un coureur que je vais me faire un plaisir de vous raconter.


On ne va pas se mentir, très vite on a un peu nos préférés et la réciprocité est vraie qui plus est. Certains ne se posent même pas de question et filent spontanément vers toi dès qu’ils arrivent, sauf si bien entendu ils ont besoin des bons soins de nos supers « médics » ! Je prends depuis le début un plaisir non dissimulé à observer les petites habitudes de tous ces coureurs venus parfois de loin pour vivre l’aventure de leur vie. Parmi eux, il y a un Anglais qui comme c’est souvent le cas a la peau très claire, parsemée de taches de rousseurs. A chaque fois, il remet de la crème solaire, ce qui est bien entendu une très bonne chose mais cela demande un peu de temps… trouver le flacon, vaporiser, étaler, ne rien oublier… Ce jour-là il est clairement fatigué et s’emmêle un peu les pinceaux avec son flacon, perdant un temps précieux. Je finis par prendre les choses en main en lui disant tout doucement : « accepte que tu aies besoin d’aide et que je suis là pour toi ». Je le crème généreusement, il s’amuse en me disant qu’en dehors de sa mère quand il était enfant personne n’a jamais fait ça pour lui et il repart. Il m’avouera sur la ligne d’arrivée que ma phrase l’a totalement bouleversé, qu’il a pensé à mes mots tout le reste de la course, réalisant que oui, lui aussi avait le droit de demander de l’aide par moment. Son émotion lorsqu’il m’a avoué cela, son émotion lorsqu’il m’a serré dans ses bras m’a vraiment fait réaliser à quel point j’avais été à ma place pendant ces quelques jours.




Sans parler du fait que j’ai pu dépanner une coureuse dont le sac cassé fut remplacé par mon Camelback qu’elle a adoré (elle est repartie avec d’ailleurs, j’en ai pleins vous vous en doutez bien avec le job que je fais), que j’ai filé mon tube d’électrolytes à Robin qui en manquait, que mes bâtons ont sauvé la course d’Hannah qui souffrait d’une tendinite du releveur entre autres bobos et qui s’est accrochée à eux pendant deux étapes. C’était marrant pour moi de voir mon matos faire une course que je courais plus en tout cas ! Pour en rester sur des considérations purement matérielles, je pourrais littéralement écrire un article complet de comparatif entre les différentes flasques… Celles qui se remplissent le plus vite, celles qui se ferment le plus rapidement, sans parler des poches à eau évidemment. J’étais aussi super étonnée de voir la différence de poids entre les sacs, certains semblant transporter tout le campement sur leur dos alors que le matériel obligatoire exigé est à des années-lumière du kit hiver de l’UTBM.
“Qui prend toujours et jamais ne donne, à la fin chacun l’abandonne.”
proverbe français
Être bénévole sur ce genre de course c’est aussi apprendre à gérer l’arrêt d’un coureur en difficulté. Le laisser souffler, lui apporter toute l’aide dont il a besoin avant de finir par le mettre gentiment dehors pour qu’il reprenne sa route. J’en ai vu arriver le regard perdu, se demandant clairement ce qu’ils foutaient là. Il faut faire attention évidemment à ne pas les mettre en danger en les renvoyant coûte que coûte pour qu’ils ne se fracassent pas dans le sable. Il faut accompagner l’abandon avec le plus de bienveillance possible, être présent sans être envahissant. Mais dieu merci pour la très grande majorité ça se passe bien ! Être aux côtés de personnes qui se découvrent des capacités qu’ils ne soupçonnaient pas, c’est aussi vraiment incroyable à vivre, on a parfois l’impression d’assister à l’éclosion d’un superbe papillon qui prend son envol vers la ligne d’arrivée.



Tiens, en parlant de ligne d’arrivée… Le 5ème jour, comme la distance est un peu plus courte, c’était uniquement CP1 et atelier médailles ! Mais surtout j’ai passé une partie de la journée à accueillir les finishers, à vivre à leurs côtés leur émotion d’en finir enfin avec ce défi un peu fou d’avoir à parcourir 250km en 5 jours dans le désert jordanien. Pouvoir les serrer dans mes bras pour les féliciter, parce que je sais par quoi ils en sont parfois passés, ça m’a totalement bouleversé. Vous le savez, je ne m’en suis pas cachée, j’ai adoré accompagner Alex alias Casquette Verte dans son UTMB, eh bien là, ce que j’ai vécu à Chamonix pendant 24h, je l’ai vécu puissance 100 et pendant 4 jours !!! C’est assez bizarre d’ailleurs à écrire mais je me suis rarement sentie autant à ma place pendant une course. En Jordanie s’est écrit la fin d’une histoire mais surtout le début d’une autre. Puisque faire de l’assistance me comble à ce point, pourquoi ne pas continuer ? Ce serait quand même dommage de s’en priver non ? Alors voilà, rendez-vous est déjà pris l’année prochaine avec la Team 1, puisque la plupart de ses membres semble décider à revenir en Jordanie pour l’édition 2023 et qu’il est hors de question que je rate ça, on a une choré Tik Tok à peaufiner !











Ami(e)s traileurs français si vous vous décidez à nous rejoindre, sachez que je serai là pour vous bichonner et vous faire dégager au plus vite des CP pour que vous passiez la ligne d’arrivée !
Les inscriptions c’est par là que ça se passe !
PS : pour l’épisode 3 je vous donne toutes les infos purement logistiques bonnes à connaître avant de venir nous rejoindre en Jordanie.
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