Run : Ultra Fiord 2015, ultra fort… ultra dur… ultra tout quoi !

Petite genèse de ce qui m’a amené à l’autre bout du monde pour ce qui allait devenir mon expérience la plus extrême baskets aux pieds (et pourtant j’en ai vu d’autres vous le savez déjà si vous suivez un peu !). Il a suffi d’une publicité sur une page FB d’un copain ultra runner (Sylvain Bazin pour ne pas le citer…) pour me convaincre que je devais retourner en Patagonie. J’ai eu la chance de courir un marathon à Puerto Montt charmante bourgade chilienne et surtout de me balader un peu autour et de découvrir une région incroyable de beauté sauvage. J’avais entendu parler de Puerto Natales par plusieurs amis baroudeurs alors forcément quand j’ai vu le nom de la ville pour la finish line, j’ai foncé tête baissée. J’aurai peut-être dû me méfier… Le fait que l’organisation soit celle qui gère le célèbre Patagonia Raid Aventure me rassurait, plusieurs connaissances l’ayant fait et même plusieurs fois, c’était un signe non ? Sauf que je n’ai aucune idée de ce qu’est un raid aventure… Pour moi ça se limite au Raid Amazones et à des articles lus à la grande époque du raid Gauloise. J’avais bien compris que c’était dur mais là, maintenant après avoir fait uniquement 10% de ce qu’ils peuvent traverser, comment dire… Je m’incline devant ces héros des temps modernes et je leur baise les pieds !

Déjà arriver jusque là-bas tient de l’ultra : 3 vols, quelques heures à attendre dans les aéroports, mais ça se gère, Dieu ayant dans sa grande bonté inventé Starbucks et son caramel macchiato. Quoique je vous conseille vivement de tester le frappuccino au dulce de leche, il passe tout seul ! A la base je partais sur le 70 km puisque la course propose un 30 (faut pas pousser mémé, je ne vais pas venir aussi loin pour faire un 30 !), un 70, un 100 et un 100 miles. Un copain Alexandre, gagne un concours à ma grande surprise, il est sur le 100, ok je demande le changement. Après mon marathon de Paris totalement catastrophique, évidemment je me pose la question de maintenir ma participation tout court. Mais bon l’avion est pris, les hôtels réservés… Comment dire… Je fonce et je pars sur le principe que de toute façon je ferai bien ce que je pourrais et que si ça devient ingérable je mettrais le cligno pour sauter dans le bus et rentrer au chaud à l’hôtel. Mais ça c’était sans savoir… sans savoir qu’il n’est pas possible d’abandonner sur cette course puisque la configuration ne le permet pas. Je commence quand même à flipper un peu parce que déjà, en arrivant sur place, je découvre que le 100 fait en réalité 113 bornes et des poussières ! Ah ouais quand même… Sachant que je finis à 5 à l’heure en trainant la patte, ça me rajoute tout de même presque 3h de course sans avoir même commencé à courir. Je comprends déjà que ça va tenir de l’impossible cette histoire mais bon on va dire qu’une petite partie de moi y croit encore, cette partie totalement cinglée qui ferait mieux de la fermer de temps en temps. On nous annonce un terrain compliqué, des rivières à traverser mais j’ai fait le trail des piqueurs, même pas peur ! Pour le moment tout va toujours très bien, je suis arrivée après 3 heures de voiture à Puerto Natales, la vue de ma chambre d’hôtel est superbe, j’ai la chance de me retrouver entourée de coureurs élites venant du monde entier absolument adorables et mieux je vois en vrai une de mes idoles Krissy Moehl, la femme qui a prouvé au monde entier qu’on pouvait gagner l’UTMB en jupe ! J’essaye de me contenir pour ne pas tomber dans la groupie de base qui est incapable de répondre quand on lui parle, préférant glousser ! Je fais la connaissance de Brittany Dick une blonde au sourire ravageur qui donnerait envie à n’importe quel coureur de se lancer dans l’ultra montagneux sans aucune prépa rien que pour la suivre !

ATT_1429777869759_IMG_20150415_121302La vue !

Je fais aussi connaissance de la meilleure pizzéria du coin et je dois bien avouer que j’ai failli demander mon rond de serviette avec mon prénom gravé dessus. Ils font quand même des pizzas sucrées avec du dulce de leche dessus !

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La fine équipe !

Bon ok c’était avant de gouter au Pavlova (meringue, chantilly, pêches) de l’hôtel situé sur la ligne de départ où nous avons passé la nuit… Quoi ??? Oh ça va j’ai ultra, je fais ce que je veux d’abord ! Et quand je vois mes copines élites et leurs assiettes je me dis que je suis dans le vrai. Je peux vous dire que les championnes le gluten, elles l’aiment ! Nous avons eu le droit l’après-midi à la projection du film tourné à l’occasion de la tentative de record de Nikki sur le Long trail un parcours réputé dans le Vermont de 273 miles, genre de St Jacques de Compostelle versus américa et ultra. Elle battra le record féminin de 2 jours ! Oui j’ai bien dit 2 jours ! Et à quoi a-t-elle tourné ? Aux hamburgers et au bacon frit ! Ça fait plaisir à voir ! Ce film est d’ailleurs à voir un jour pour toute personne qui s’intéresse un peu à ce monde étrange de ceux qui envisagent très sérieusement de courir 300 bornes sans s’arrêter dans des conditions quelque peu extrême. Bon, ok entendre une femme déclarée à la caméra qu’elle en a marre de ne pas gagner la même chose que les hommes dans sa discipline parce qu’elle a 2 ovaires m’a éclaté ! Mais on s’éloigne du sujet… Me revoilà la veille au soir à l’hôtel, prête à en découdre et pour une fois, je suis plutôt fière de moi. J’ai le matos obligatoire, il ne me manque rien, j’ai même 3 frontales au lieu de deux c’est dire ! Question textile parce que je sais que ça intéresse parfois les gens, j’ai prévu un collant long Nike pro pour me couvrir les jambes (j’ai compris depuis les piqueurs qu’il vaut mieux être prudent de ce côté-là !) et ma jupe trail Kalenji qui sera bien utile pour me protéger lors de glissades pas vraiment prévues, un manche longue Patagonia en mérinos (il caille), mon coupe-vent Quechua qui a fait ses preuves lors d’UTMB pluvieux,ma brassière Zsport off course, et aux pieds une paire de chaussettes Patagonia (RIP… elles sont restées au Chili, paix à leur âme) et mes nouvelles Kalenji qui normalement ne sont pas tout à fait faites pour la longue distance mais je les aime et je fais ce que je veux d’abord. Sur le dos, le nouveau sac oxsitis avec pour une fois une flasque, système que je n’ai jamais testé à ce jour (bon je vous le dis tout de suite, pas vraiment emballée par le système, je préfère mes bidons ou alors je suis nulle ce qui est tout de même tout à fait envisageable !). A ma grande surprise je trouve plutôt facilement le sommeil, ce qui est de bons augures pour le lendemain, jusqu’à ce que j’ouvre l’œil vers 4h du mat. Mon cerveau est en mode ultra et je refais le tour dans ma tête de mes affaires, genre checking d’un pilote avant le décollage : sac ok, frontale ok, piles de rechange ok… garmin… garmin… oh putain le garmin… Je le vois bien tout seul en train de se charger dans ma dernière chambre d’hôtel m’appelant désespéré « mais qu’est-ce que je t’ai encore fait ? Tu ne penses jamais à m’allumer, tu ne penses jamais à me charger et là tu m’abandonnes à Puerto Natales… ». Bon ok, en rentrant à la maison je m’occupe de mon dos et je pense à parler de mon problème gps avec mon psy, il y a forcément une explication rationnelle à ce blocage psychologique concernant cet outil technologique pourtant fort utile quand on y pense deux minutes. Bon ben je vais devoir partir avec mon gros chrono qui m’accompagne dans mes voyages parce que je ne veux pas un jour me retrouver sans ma jolie montre avec des trucs qui brillent autour, cadeau de mes 30 ans oubliée ou volée dans un hôtel à l’autre bout du monde. Parait qu’il est étanche… Je peux aujourd’hui le confirmer !

6h du mat, je me lève, douche en vitesse, je suis maintenant en mode coureuse. Direction le petit dej où je charge en glucides, protéines et tutti quanti… Traduction : je dévore des œufs brouillés, du jambon, des céréales, deux ou trois toasts grillés le tout noyé dans un thé sans avoir oublié mon citron pressé pour rééquilibrer mon équilibre acido-basique (nan je déconne ! juste parce que j’aime ça et que ça me réveille !). Je retrouve enfin Sissi qui n’avait pas le même programme que moi et j’en profite pour saluer Xavier au taquet et un peu la star du moment. Tout le monde cherche le gagnant de la Sainte Trilogie (CCC, TDS, UTMB). J’en profite aussi pour faire un bisou à Jeison, un coureur qui a fait le grand Slam avec moi et qui vient du Brésil. Je dois faire au moins 14 pipis de la peur avant qu’on rejoigne la ligne de départ située juste devant l’hôtel et hop c’est parti. Et hop en quelques secondes je dois être dernière ou presque… Punaise, mais ils ont mangé quoi au petit dej ??? De toute façon, courir plus vite, je ne peux pas alors j’avance et je ne me prends pas la tête. Je ne suis pas là pour gagner (ça tombe vachement bien quand on y pense parce que j’aurais été sacrément déçue !) et je sais que parfois c’est la tortue qui gagne (ok pour le coup ça n’a pas marché…). Au bout de 2 ou 3 km, mon chrono super lourd ne faisant pas gps c’est à la louche, un attroupement devant moi se profile à l’horizon. Je comprends vite le problème : rivière à traverser et corde à attraper… Généralement le coup de la corde ça n’augure jamais rien de bon. On te met rarement une corde quand tu as de l’eau jusqu’à la cheville… Je vois une fille qui prend le temps d’enlever ses chaussures, ce qui est pour moi La mauvaise idée. On ne voit absolument de quoi est fait le sol, c’est un coup à se couper les pieds. J’avance tranquillement mais surement jusqu’à ce que l’eau m’arrive au niveau du ventre, l’eau glacée cela va s’en dire. Franchement à ce moment-là les seuls mots qui me sont venus à l’esprit sont « putain de bordel de merde qu’elle est froide ! ». C’est sûr, c’est pas avec ça que je vais avoir le Goncourt mais c’est sorti tout seul ! Je sors de là, je m’ébroue tel un labrador, ce qui ne sera quelques heures plus tard plus une image puisque j’en aurais aussi l’odeur… Et je repars. Et j’ai froid… Je vais mettre mes gants, faut se réchauffer les extrémités il parait dans ces moment-là. Et merde mes gants… sont dans ma poche, poche qui a pris l’eau forcément. Je les égoutte, les accroche à mon sac à dos dans l’espoir on ne peut plus naïf qu’ils vont sécher. Mais bien sûr… Ah ben tiens il pleut. Ça va forcément sécher beaucoup moins bien cette histoire.

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Pendant ce temps-là j’avance et je découvre avec joie et alacrité (moi aussi je connais des mots savants comme Fred Brossard d’abord !) ce qui va être mon terrain de jeu pendant quelques heures, beaucoup trop d’heures à mon goût : boue jusqu’au genou parfois, glaise qui colle, racines, cailloux, genoux dans les choux… Végétation que je pourrais qualifier de légèrement hostile… Tout y est ! Je chemine tranquillement puisque de toute façon là j’ai beau essayé de chercher, je ne vois pas comment on court sur ça. Je suis et je reste une traileuse d’opérette moi et là ça se voit. Arrive enfin le premier CP au bout de 16km et là, c’est un peu la douche froide (oui je sais je suis drôle !). Deux gentils chiliens sont bien là à nous attendre mais on va dire que la Patagonie n’a pas tout à fait la même définition du mot ravitaillement… Juste quelques barres de céréales, un bidon avec de l’eau et roule ma poule. Ça manque justement de bouillon de poule bien chaud ! Nous sommes au bord d’un lac, avec une toute petite plage sur laquelle je m’échoue tel un éléphant de mer. Bon là il faut faire quelque chose parce que je suis sérieusement en train d’envisager de pisser dessus façon triathlète dans sa combinaison pour me réchauffer. Il y a encore un passage dans l’eau avec un niveau non négligeable qui s’annonce, je vais finir en esquimau glacé moi. J’ouvre mon sac et je sors mon coupe-vent que je n’avais à la base même pas envisagé de prendre. Je remercie donc ici publiquement Alexandre de m’avoir convaincu que 100 gr ça n’était rien. J’ai choisi le plus léger que j’ai en stock, un columbia avec l’intérieur en couverture de survie. Normalement je le traîne dans les déserts pour la nuit mais là il est allé faire un petit tour en Patagonie. Je fais alors à ce moment-là le seul truc qui me parait compatible avec mon haut en mérinos un peu large, je le mets directement sur ma peau en première couche, mon haut mérinos et ma veste. Je sors mes gants imperméables que j’avais pris pour la nuit et c’est reparti pour 13 km de douce rigolade.

On m’avait parlé de la faune locale absolument charmante à savoir puma et autres taureaux sauvages, mais heureusement je n’aurais le droit qu’à des chevaux sauvages de toute beauté qui me regardent en coin, se demandant bien ce que je fous là. Je les rassure, moi aussi ! Lorsque j’arrive au CP suivant, je dois me rendre à l’évidence, je ferme la boucle, à tel point qu’une bénévole me demande si je veux vraiment y aller. Ben oui je marche encore non ? Ce que je ne comprend pas, rapport à mon niveau d’espagnol qui se limite à la base « jamon, queso, te quiero, hola que tal », c’est qu’elle m’avertit que si je continue, je ne pourrais pas faire machine arrière et que surtout la barrière horaire va bientôt se refermer impitoyablement. Ok j’attrape une poignée de cacahuètes et je repars vers ce qui va se révéler les 40km les plus longs, les plus éprouvants, que je n’ai jamais parcourus de ma vie de traileuse. Je sais qu’il y a une montagne à franchir mais bon dans ma tête ce n’est pas le Mont Blanc non plus. Je sais aussi qu’il y a un glacier de 2 km (enfin 5 mais bon là encore on ne va faire la difficile, je ne suis plus à ça prêt). Et surtout je sais que dans l’absolu si je veux avoir une chance de finir le 100km il faut que je passe tout ça avant la nuit. Je vous le dis tout de suite, pas la peine de faire durer le suspense, je n’ai pas réussi. Un très joli crash en flamme même je dirai. Je ne suis déjà pas bonne dans la boue mais alors dans la boue qui grimpe, là ça devient juste pathétique. Bon de toute façon, pas le choix, faut bien que j’avance en cherchant mon chemin parfois parce que cette bonne blague, y en pas de chemin justement ! Bon je vous rassure le balisage est plutôt bien fait et à ma vitesse, j’ai quand même moins de chance de le rater. Je me fais deux ou trois trous dans les jambes, celles-ci n’appréciant pas trop le contact avec les branches, je manque de perdre mes chaussures des milliers de fois mais j’avance. La végétation se fait plus rare, la boue est remplacée par une espèce de tourbe, de végétation spongieuse gorgée d’eau dans laquelle je m’enfonce tout autant que dans la boue. Le problème c’est que dit comme ça, ça n’a l’air de rien mais c’est tout bonnement épuisant. Les appuis sont mauvais, mes bâtons restent parfois coincés quand je peux les utiliser. Certains monotraces sont tellement monotraces justement que j’ai juste la place de mettre mes pieds. Les minutes, les heures passent, je sais que je vais arriver sur le glacier de nuit et ça me désespère mais bon je n’avais qu’à aller plus vite aussi. Et c’est exactement ce qui se passe. Le point de contrôle juste avant de passer au dessert, à savoir le vacherin glacé marque pour moi la sortie de la frontale. Enfin plutôt la tentative de sortie de la frontale… J’ai pris ma nao qui est chargée à plein (je ne peux pas non plus me planter sur tout !) mais je n’ai pas pris le temps de la « remonter ». Résultat, tous les câbles sont emmêlés, je m’énerve ce qui ne règle jamais ce genre de problème comme vous l’avez surement vous aussi remarqué. J’en ai tellement marre que je décide de partir avec l’autre, la petzl de secours qui a le défaut forcément d’être nettement moins puissante (ça aussi faut que je la change). Je repars pour l’ascension longue et laborieuse du glacier qui sera immanquablement suivie par la descente… Alors là je la joue simple : je n’arrive pas à me tenir debout, j’y vais en glissade en tentant de me diriger pour éviter les cailloux affleurant, ce qui ne marchera pas toujours. Les compagnons de route que j’ai à ce moment-là après deux secondes d’hésitation se jettent à leur tour et ça en deviendrait presque drôle cette histoire. Si ce n’est que la neige ça mouille et c’est froid… Wouah, la révélation ! Attendez, j’en ai une autre : au marathon des sables, y a du sable et il fait chaud ! Je vais aller loin avec des scoops pareils tiens. Bon nous voilà sortis du glacier mais pas des ennuis. Le problème lorsque tu es plusieurs la nuit, c’est que tu es forcément perturbée par les frontales des autres et qu’en bon mouton tu suis le mec de devant. Et que forcément tu te plantes… On va jardiner un bon moment à plusieurs avant de décider à vraiment remonter sur nos pas, retrouver cette foutue balise et reprendre le bon chemin. Bon vu la rivière qu’on a encore du traverser, je me demande si c’était une bonne idée cette histoire.

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De jour ! Merci pour la photo Jeison… comme ça je sais ce que j’ai raté !

Un bénévole est là, surement attiré par le ballet de nos frontales perdues et et il nous emmène jusqu’au CP suivant, qui se résume à un feu de bois perdu au milieu de nulle part et une gamelle de soupe avec des nouilles dedans qu’on se partage, mais c’est chaud et c’est toujours ça de pris. Je prends surtout le temps de démêler cette foutue frontale et je repars en veillant à bien laisser partir mes petits camarades devant histoire de faire ma propre route. Je plonge seule dans ce qui tient d’une forêt maléfique où je me dis qu’à chaque instant je vais tomber sur Blanche Neige, le chasseur et la tribu des nains versus Maléfique. Je refuse de penser un seul instant à ce qui pourrait m’arriver. De toute façon sur ce genre de course, si tu commences à penser à autre chose que de l’endroit où tu fous tes pieds, c’est foutu. Si tu prends un minimum de recul, que tu analyses le truc, tu te fous en boule et tu pleures en implorant qu’on vienne te chercher. Ce qui dans mon cas est impossible puisqu’on ne peut pas venir te chercher ! Alors tu serres les dents et tu avances. Tu fais abstraction de la douleur, puisque de toute façon tu as mal partout et tu avances. Jusqu’au CP suivant… feu de bois, bénévoles, gamelle de soupe… et moi qui tente de me réchauffer. Mais il faut se rendre à l’évidence, mon corps est épuisé, mon mental est à bout, je tombe de sommeil. Un des bénévoles me dit qu’il y a une tente, un duvet et que je peux aller dormir un peu. J’accepte parce que de toute façon, si je ne me pose pas deux minutes, la prochaine racine sera pour moi et qui dit racine dit risque d’entorse au minimum si tout va bien. Il m’installe dans une tente minuscule, sur un tapis de sol. J’enlève mes chaussures pour ne pas trop saloper son duvet, je me mets en position fœtale et je lui demande de me réveiller dans 45 minutes. Franchement je crois que j’ai réussi à dormir un peu. Je suis trempée, j’ai tellement froid que je me demande si je ne vais pas finir par perdre mes orteils d’hypothermie ce qui serait une solution plutôt pratique aux problèmes des ongles qui sautent. Il est 5h… Paris s’éveille et moi je mets mon cerveau en veille pour y retourner. Un thé pour me réchauffer et je repars. Je sais que le prochain arrêt sera le dernier, que le jour va finir par se lever, que j’en ai bientôt terminé.

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Mais si on passe !

Mais ce ne sera pas sans passer par de la boue, de la glaise, des rivières glacées, de la tourbe inondée, de la végétation aux griffes acérées… 7h du mat… Je me demande ce que je fous ici, si ça va finir un jour, si je ne suis pas condamnée à errer dans cette forêt hostile toute ma vie. Comme en plus ils ne rendaient plus le couteau obligatoire, je n’ai même pas sur moi mon opinel pour chasser, c’est bêta. Du coup je me dis qu’il est grand temps de m’offrir une pause milkyway ! Je me pose sur un tronc d’arbre confortable, j’éteins ma frontale pour l’économiser et je profite de l’instant. Nan mais sérieux quelle idée j’ai eu… Je me dis surtout qu’il va falloir être soft dans le compte-rendu parce qu’on va m’enfermer dans une grande tour quand je rentrerai et que s’il faut que j’attende que mes cheveux repoussent pour pouvoir m’échapper, ce sera en V27 et en déambulateur que je ferai ma prochaine course ! Je repars, le dernier plateau devrait me permettre de courir mais je suis totalement épuisée et puis à quoi bon ? A quoi bon tenter de gagner 20 minutes lorsque tu es partie la veille à 8h30 du matin franchement ? Le lac où se situe la ligne d’arrivée du 70km est enfin là. Je me doute bien qu’il va falloir encore se mouiller les pieds mais ça sera toujours mieux d’arriver les pieds rincés au camp. J’aperçois un bateau et j’espère qu’il sera mon moyen de locomotion pour mon évacuation, mais raté, il est pour le personnel ou les touristes qui occupent le lieu. Je passe la ligne d’arrivée, je déclare tout de suite que je ne compte pas repartir et je file me mettre au chaud. Je viens d’officiellement abandonner sur le 100km et je m’en fous comme de la première étiquette de ma première petite culotte. Il est presque 9h et là ça suffit. Je m’étais dit qu’en arrivant avant 8h c’était jouable mais j’ai raté mon pari. De toute façon il fait trop bon au coin du poêle, il fait trop bon manger une assiette de pâtes, il fait trop bon s’envoyer dans la foulée un sandwich chaud au jambon grillé sur le dit poêle. J’ai jeté mes chaussettes, j’ai tenté un début de rinçage de mes pieds, j’ai enfilé mon tee-shirt sec, je suis bien. Evidemment voir les autres repartir n’est pas forcément facile mais il reste l’équivalent d’un marathon et je suis épuisée. Vivre ça comme un enfer n’a que peu d’intérêt pour moi. Je sais que c’est plus roulant mais justement, marcher alors que tu pourrais courir est très difficile à vivre et moralement tout aussi éprouvant. J’apprends que tous les français ont fini, que nos deux champions ont fait podium et qu’Alexandre a pris la même décision que moi. Voilà, la Patagonie et l’Ultrafjord c’est déjà fini… Pour tous ceux et celles qui seraient tentés par l’aventure, il faut vraiment oublier tout ce que vous connaissez du trail à la française et partir avec à l’esprit qu’il s’agit ni plus ni moins d’un raid aventure sans le kayak et le VTT ! Il faut être très rustique, se connaître et ne surtout pas compter sur les autres. Si vous n’envisagez pas une course sans un staff médical au petit soin, sans le suivi facebook avec le petit message qui dit « je suis bien arrivée à Courmayeur, je suis en retard sur mon objectif mais je vais me rattraper », passez votre chemin ce n’est pas pour vous ! Si comme moi, vous avez rêvé devant les images du feu Raid Gauloise, si jouer les GI Joe vous excite plus que jouer à la poupée Barbie, foncez, cette course est faite pour vous !

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Récup versus Patagonie !

PS : nous avons demandé et obtenu le soir même d’être classés sur le 70km histoire de ne pas être venus totalement pour rien… et c’est kiki qu’est toute contente d’avoir 2 points ITRA ? C’est bibi !

PSS : la version de ma copine Sylvaine est !