Me voici donc derrière mon clavier pour un énième récit de mon aventure à Verbier… C’est presque devenu une routine, quand commence le mois de juillet, je file dans le Valais me prendre le mur de la Chaux en me promettant que « non vraiment plus jamais, cette fois, c’est la fois de trop » … Et l’année suivante je suis là, telle Dory dans « Némo » qui oublie tout ce qu’elle dit ! X Traversée version 2021, me voilà encore une fois !
Petit retour en arrière : vous n’êtes pas sans savoir que nous avons traversé une période un peu compliquée qui, j’ai bien l’impression, n’est même pas totalement encore derrière nous mais passons. Concrètement toutes mes courses de prépa scrupuleusement planifiées sont bien entendu tombées à l’eau, et comme en plus j’ai eu la bonne ou mauvaise idée de respecter les consignes du gouvernement, je suis en route vers le Valais totalement consciente que j’y vais au talent, talent, que tout le monde sait, n’est pas inné chez moi dès qu’on parle de grimper. Si on rajoute à ça quelques petits soucis de santé pas encore tout à fait réglés, on peut dire que tous les voyants sont plutôt en mode orange foncé. Inutile de préciser que lorsque j’ai parlé à mon père médecin qui suit le bordel que je comptais aller faire 73 bornes avec 4900 de D+, il m’a menacé d’un internement d’office. Ah les parents… Je ne l’écoutais déjà pas à 15 ans, alors à plus de 50 pensez-donc !
Me voici donc en route vers Verbier avec une voiture bien chargée puisque je vais rester la semaine suivante pour un stage organisé par le Swiss Peaks Trail, en mode semaine choc quoi. Bref pour faire simple, j’ai jeté la moitié de mon dressing dans le coffre juste au cas où. Alors que j’avais prévu une petite pause déjeuner à Chamonix dans mon restaurant japonais préféré, les travaux sans fin de cette foutue RCEA et les 10 minutes passées à retourner la maison pour retrouver cette foutue Gore Tex de m… qui n’est jamais là où je pense qu’elle est parce qu’ils annoncent de la pluie. Je finis par manger un sandwich dans la voiture, merveille d’équilibre alimentaire la veille d’un ultra. J’ai rendez-vous à 16h à Verbier pour retirer mon dossard et avec les contraintes liées à la situation sanitaire, je tiens à être à l’heure.



Très prochainement dans toutes les bonnes librairies mon prochain livre regroupant tous mes conseils nutritionnels pour préparer un ultra
J’ai mon précieux, mon joli t-shirt et je retrouve les fondateurs du Trail Verbier St Bernard pour un apéro « potins du monde de l’ultra trail » où je vous rassure, je n’ai pas attaqué la bouteille de vin. J’ai déjà assez compromis mon régime alimentaire comme ça. Diner rapide avec Morgane, Basile et Cédric qui sont là pour vivre leur première expérience valaisanne. Nous filons avec les garçons à la Fouly parce que pour la première fois, chanceuse que je suis, je vais dormir quasiment sur la ligne de départ ! L’auberge des Glaciers je connaissais, c’est ma cantine pendant les suivis UTMB, mais allez savoir pourquoi je n’avais pas pensé une seule seconde qu’ils faisaient aussi hôtel. Pouvoir se lever au dernier moment comme ça c’est un luxe incroyable surtout que grâce aux couettes qui me rappellent les gros duvets de chez nos grands-mères, je dors plutôt bien. Enfin pour une veille de course évidemment ! Tout coureur d’ultra comprendra…
Lever 6h45, petit déjeuner 7h mais force est de constater que si le sommeil y était, la faim elle n’y est pas… Je suis là au-dessus de mon gâteau sport Apirun (je vous en parle très vite dans un autre article) et je n’y arrive pas. Rien à voir avec le produit en lui-même hein qui est absolument délicieux ? C’est juste que je n’ai pas envie de ça là tout de suite maintenant. Mais les ultras le ventre vide… Comment dire… La gentille serveuse me voit dépitée et me dit : « je peux demander au cuisinier de vous faire des œufs si vous voulez ? ». Et là, illumination, oui j’ai envie d’œufs brouillés ! Je file finir de me préparer, la bise à Ludo, la voix du trail qui prend son café avec Tiphaine la gentille organisatrice et zou je file déposer mes affaires dans le camion pour qu’elles retournent à Verbier. Nous y voilà, les dés sont jetés, Ludo fait le décompte, trois, deux, un, partez !
On commence par un peu de bitume, idéal pour que le troupeau s’allonge un peu et limite les bouchons quand ça commence à monter. Direction le Grand Col St Bernard, je vais pas dire que je connais le chemin par cœur mais je suis juste heureuse d’être là. Même si je viens de croiser mon copain Arthur qui prend quelques nouvelles rapides avant de filer non sans me dire plus ou moins clairement « t’es vraiment trop lente, je dois y aller ». Il n’a pas tort tu me diras, surtout que très vite nous tombons nez à nez avec des névés et tout le monde le sait, les névés je n’aime pas autant qu’ils ne m’aiment pas ! Je prends mon temps mais de toute façon pas le choix, le cardio est au plafond, j’ai juste la trouille irrationnelle de me vautrer. Ce que je vais évidemment faire, mais pas là… Non évidemment j’attends une partie caillouteuse à souhait pour m’étaler totalement. Rapide constat des dégâts : le coude gauche saigne un peu mais rien de trop grave apparemment.
Je file au premier ravitaillement où je fais la connaissance de Rachel qui me félicite sur ma tenue… Un peu surprise j’avoue puisqu’il s’agit d’une ancienne tenue Décathlon devenu Evadict pour ceux qui suivent l’actu, elle m’avoue qu’elle était styliste pour la marque ! Je la félicite pour son « short jupe » super original en lui demandant où elle l’a eu. Elle m’avoue que c’est sa propre création. Va falloir que j’en parle à la marque parce qu’à mon avis, il y a un truc à creuser. Fin de la minute mode ! Je repars pour Bourg St Pierre, sa salle polyvalente et si je m’en souviens bien sa pastèque si rafraichissante. C’est sur ce tronçon plutôt roulant que je fais la connaissance de Ludovic. Je ne le sais pas encore mais Rachel et lui vont jouer un grand rôle sur la fin de ma course. Enfin course… randonnée serait le terme le plus réaliste évidemment.

Il est accompagné de deux « petits jeunes » très sympathiques. Nous papotons quelques minutes et ils filent devant moi me laissant seule avec la nature et les vaches pas toujours très dociles. Moment totalement incroyable à vivre, je passe de très longues minutes, voir plusieurs km entièrement seule, à tel point que je pense être tout simplement la dernière de la course. Je me retourne même plusieurs fois dans l’espoir d’apercevoir les serre-files ! Je tombe sur un gentil monsieur qui m’accueille par un « mais vous êtes seule au monde ou bien ? ». Je lui dis que je dois surement être la lanterne rouge du peloton, il me rassure en me disant « oh non, rassurez-vous, mon fils est derrière vous, je l’attends ». Ok, bon ben avant-dernière alors !
Je profite de chaque minute de ce tronçon parce que clairement c’est celui le plus sympathique pour souffler un peu avant le gros bordel qui va arriver. Le ravitaillement est là avec tous pleins de gentils bénévoles comme à chaque fois qui ont l’air aussi heureux que nous d’être là ! Et comme tous les ans ma pastèque est bien là elle-aussi. J’en ai tellement envie que je commence même par ça avant de manger quelques pates dans du bouillon de bœuf absolument délicieux. Je fais la connaissance de Paul, coureur américain vivant en Europe et je retrouve Rachel sur le départ. Et devinez-quoi ? Paul me demande alors qu’elle quitte la salle « vous savez où elle a acheté son short ? Ma femme va l’adorer ! ». Verbier est quand même le seul trail où je mange de pastèque en parlant mode avec un mec venu de l’autre bout du monde…


Bien sûr vous retrouverez mes conseils nutritionnels pour réussir à finir avant dernière d’un ultra dans mon livre !
Allez zou, je repars parce que bon, c’est bien gentil mais je ne suis pas d’ici. Cabane de Mille me voici ! Oh t’affole pas, t’as le temps de faire chauffer l’eau pour mon thé, à la vitesse où je vais… Ce parcours, je l’avais fait l’année dernière lors d’un séjour pro organisé par l’Office du Tourisme pour nous consoler de l’annulation de la course. La météo était tout autre, le ciel était bleu électrique ce jour-là mais c’est finalement l’occasion de découvrir les paysages sous un autre jour, nuageux certes mais toujours aussi beau. Enfin pas suffisamment beaux pour me faire oublier que ça monte… mais ça monte… Quand je vois mon niveau de fatigue, je m’inquiète pour la Chaux comme tout bon coureur qui est déjà passé par là. Mille est enfin là, la tarte à la myrtille en moins mais de toute façon, je me voyais mal déguster une part là tout de suite maintenant. Les bénévoles sont en mode « vous savez où est Emily ? Pour l’instant elle est en tête et on l’attend ici ». Je suis tellement heureuse pour elle à ce moment précis et je le serais encore plus quelques heures plus tard, parce que non seulement elle gagnera la X Alpine mais profitera de l’occasion pour faire sauter le record ! (et ma copine Claire après avoir pris un dossard à l’arrache le mardi juste avant grimpera sur la 3eme marche, je ne fréquente que des championnes moi !)
Revenons-en à nos moutons, enfin à notre X traversée bien laborieuse s’il en est. J’ai profité de l’arrêt au stand pour enfiler mon t-shirt en mérinos manches longues parce que le temps se gâte et qu’il commence à faire un peu frisquet. Je file vers Brunet, là, c’est bon ça déroule doucement mais surement. L’avantage énorme de cette course, c’est que les barrières horaires sont larges, te permettant de ne pas stresser en permanence. Il ne s’agit pas non plus de ramasser des pâquerettes mais tu peux prendre deux secondes pour les photographier. Je profite vraiment de ces derniers moments parce que je sais que derrière… Commence le bordel… J’arrive à Brunet largement avant la barrière horaire de 20h45, je me dis que même si ça sent la fin du peloton cette histoire, je suis encore plutôt bien et que si je gère tranquillement ça devrait passer pour une arrivée pour le petit déjeuner !


Vous voyez je n’ai pas photographié les pâquerettes !
Direction la passerelle de la Panossière que je n’appréhende plus vraiment puisque j’y suis déjà passée mais c’était sans compter le Col Avouillons… Comment j’ai pu oublier ce foutu col moi ??? Je cherche toujours ! Ok c’est très joli mais bordel ils le sortent d’où ??? Il a poussé depuis la dernière fois c’est ça ? Je n’ose même pas aller voir la trace de mon gps pour rester dans le doute de la durée de cette longue agonie. Je commence à comprendre que la fin va être compliquée et je suis loin de me tromper. Surtout qu’évidemment, je retrouve mes amis les névés ! Ne pas tomber… Ne pas se vautrer… Ne rien casser parce que là, le temps qu’on vienne te chercher, t’as le temps de finir en esquimau glacé. La passerelle est là et après ce que je viens de traverser, comble de l’ironie, j’y prends presque un plaisir fou alors que j’ai le vertige et la trouille de voir tous les câbles lâcher. Indiana Jones une pensée émue pour toi !
Allez, à droite toute pour la cabane du même nom pour un aller-retour qui va tenir d’une retraite de Russie côté français. C’est mon côté fan d’Histoire, en cette année anniversaire, je ne pouvais qu’honorer Napoléon à ma façon. La mémoire te joue quand même de sacrés tours parfois. Je ne me souvenais pas de ce côté vertical de la chose et surtout de ce sentiment très étrange mais que tout traileur connait : bordel de bon sang de bois, peut-on m’expliquer pourquoi ce foutu refuge recule au fur et à mesure que j’avance vers lui ? Nan parce qu’il recule hein, c’est pas possible autrement… Quand enfin j’arrive, je n’ai pas seulement l’esprit tout retourné de bonheur, j’ai aussi l’estomac qui franchement se demande lui aussi pourquoi je m’impose ça. Et comme la dernière fois, je file derrière le ravitaillement vomir un peu, oh pas trop, juste ce qu’il faut. Ah ben, ça faisait longtemps que je n’avais pas vomi à Verbier moi…
J’attaque la descente avec un autre stress, pas prévu celui-là. Allez savoir pourquoi, le gentil bénévole nous annonce une barrière horaire à 23h45 et allez savoir pourquoi, comme mon cerveau n’est plus alimenté correctement en oxygène du fait de l’altitude, je le crois. Et je panique… Il n’est pas responsable, c’est à moi de connaître les infos relatives à ma course et en plus il m’a proposé d’appeler l’orga pour vérifier ça mais je préfère filer sans demander mon reste (et surtout avant de revomir sur ses pieds, ce qui ne serait pas du meilleur effet). Bref, j’attaque la descente le nez sur ma montre et très vite je réalise que l’objectif est totalement inaccessible pour moi. Chié quoi… Arrêtée à Lourtier et même pas obligée de monter la Chaux ? La tuile ! ou pas… Sincèrement à ce moment précis je me pose la question en mode Freud sors de mon esprit. Conscient, inconscient… N’aurais-je pas volontairement trainé la patte pour éviter d’avoir à affronter le MUR ? Mais encore… ça vous fera 50€ en liquide, je ne prends pas la carte bleue.
Cette longue descente aux enfers n’en finit pas, c’est dingue comme elle peut être longue, cassante et fatigante. J’ai sorti la frontale et je ne pense qu’à une chose : évite de te vautrer et de vomir encore une fois. Je suis seule quasi tout le temps, je suis doublée rarement, je double tout aussi rarement. Je suis résignée, dans ma tête, ma course va s’arrêter à Lourtier. J’envisage tous les scénarios : plus de navette, je dois rentrer en stop… je tente le tout pour le tout et je finis sur mes deux pieds, au diable les barrières horaires et le cadeau à l’arrivée. Je trottine quand je peux, c’est-à-dire pas souvent. Le village est enfin là et quelques spectateurs aussi. Ils m’encouragent mais je leur dis « pas la peine, c’est foutu pour moi mais merci quand même ». Et là j’entends « mais pas du tout, je suis sûre qu’il vous reste un peu de temps ». Ah mince… Manquait plus que ça !
Du coup, je repars en trottinant encouragée par un couple de personnes âgées adorables assis sur leur banc. La fameuse salle est là et l’info m’est confirmée à peine mes mains désinfectées : « la barrière horaire est dans 4h, vous avez même le temps de dormir un peu si vous voulez ». Bon ben plus le choix, la Chaux me voilà ! Je m’allonge un peu, je mange un peu de risotto en priant pour qu’il reste au chaud lui aussi et je repars avec, je vous le donne en mille : Rachel et Ludovic croisés plus tôt sur la course. Il n’y a pas de hasard dans la vie, juste des rencontres au bon moment. Tous les deux sont un peu dans le dur, on sait que ça va être compliqué mais, petit pas par petit pas, caillou après caillou (je teste le confort de chacun d’entre eux, un travail réalisé avec le sérieux qui me caractérise, vous vous en doutez), on arrive enfin là-haut ! Je suis tellement heureuse si vous saviez à ce moment-là que je m’offre un bol de bouillon avec un peu de pâtes dedans.
Maintenant c’est facile, y a plus qu’à se mettre en boule et dérouler jusqu’en bas. Très vite je comprends que notre arrivée ne se fera pas main dans la main, je suis incapable de tenir leur rythme. Mon estomac est encore trop capricieux pour ça et mes quadri sont en mode « nan mais sérieux, t’as vraiment cru qu’on allait te laisser courir jusqu’en bas ? T’es vraiment blonde toi des fois ». Sincèrement à ce moment-là même si cette descente sera nettement plus compliquée que j’aurais pu l’imaginer, je m’en fous, elle m’emmène à Verbier, et ça c’était totalement inespéré. Les premiers chalets sont là, j’aperçois le cigle du W, grand hôtel de la station qui signifie que la route vers la ligne d’arrivée ne va plus tarder (ouais y en a qui se repère au balisage, moi je me repère aux hôtels 4 étoiles… On a la classe ou on ne l’a pas !). Je n’arrive même plus à courir, j’ai trop mal et ça servirait à quoi ? Gagner 30 secondes sur un temps final qui ne mérite pas qu’on se fasse souffrir pour ça.
Voilà, j’ai fini ! Dans un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas comprendre mais ce n’est pas grave. Je trouve le moyen de faire la kéké pour la photo finale, je suis ravie d’aller chercher mon sac cadeau, et pour une fois je file manger mon repas gentiment offert par l’orga. On se croirait revenu des dizaines d’années en arrière où je me faisais des pates pour éponger l’alcool ingurgité quand je sortais du Queen (dieu merci les réseaux sociaux n’existaient pas à cette époque-là, il n’y a aucune trace de ces moments-là !). Eh ben vous savez quoi ? Les bolognaises sont super bien passées !

Conclusion de tout ça : Est-ce que j’en ai bavé ? Absolument ! Est-ce que je suis fière de mon temps final ? Absolument pas parce que je sais que je vaux mieux mais je n’ai rien lâché et de ça, je suis plutôt fière. Est-ce que je reviendrais ? Absolument ! L’orga m’a promis d’installer une plaque souvenir « ici Cécile a vomi encore une fois », faut absolument que j’aille voir ça !
Le site du Trail Verbier St Bernard est là pour vous inscrire l’année prochaine est ici.
PS : évidemment merci à Tiphaine et Matthieu qui se sont accrochés pour que cette édition ait lieu, à Sylvie pour son accueil chaleureux, à tous les bénévoles qui ont fait un travail incroyable, leur bonheur de nous voir n’avait d’égal que le notre de pouvoir enfin les revoir.