Run : réponse à un malotru…

J’ai adoré cette réponse d’Héliette Garcia-Fernandez faite à un malotru (j’adore aussi utiliser des mots un peu désuets… la langue française est tellement riche, il faut l’honorer pour cela), qui n’est pas seulement une traileuse de talent mais qui sait aussi avoir du répondant à bon escient😉. Arrêtons de juger, d’avoir une idée préconçue sur tout et kiffons ensemble le fait de partager une même passion sacrebleu !

Hier, j’avais installé un petit stand de vente et massage au vide-grenier de mon village pour lever des fonds pour le Marathon des Sables 2024 et l’ONG Gynécologie sans Frontières. Un homme arrive, me dit qu’il était traileur aussi, hésite, et puis : « Si je puis me permettre une remarque… vous n’avez pas le physique habituel pour ce genre d’épreuves. »

Au moment où il me dit ça, j’ai un certain nombre de réponses possibles qui me passent par la tête. La première est juste de lui mettre une claque parce que non, il ne peut pas se permettre. Pour qui se prend-il ? La deuxième est de lui faire remarquer qu’avec son mètre quatre-vingt cinq et ses potentiels 90 kg, lui non plus. Au lieu de ça, je lui demande : « Et c’est quoi, le physique habituel ? »

Il est gêné. C’est la moindre des choses. « Euh, enfin vous voyez, les coureurs sont en général plus… secs. » C’est à ce moment-là qu’il se prend une déferlante sur un ton factuel plutôt que ma chaise de massage en travers de la tronche (ou mon pied, plus rapide). Car après tout, moi, je ne suis pas comme lui : je ne me permets pas.

En vrac, je lui ai répondu : Je croyais que l’essence du trail, c’était courir dans la nature pour le plaisir et la beauté du lâcher-prise, pour le goût de l’effort et pour se ressourcer ? C’est annexé à un IMC précis, ça ? Et si les gens qui commencent à courir pour le plaisir sont déjà minces, est-ce qu’ils choisissent la course parce qu’ils sont taillés pour et donc sont plus nombreux dans cette discipline ? Un peu comme les enfants grands choisissent plus facilement le basket que le foot ? Et donc ça voudrait dire que les gens qui sont plus massifs ne se mettent pas à courir pour le plaisir mais juste pour perdre du poids ? Et donc ça voudrait dire que les gens grossophobes qui regardent de travers toutes les personnes ayant un corps plus gros que le leur sont complètement contradictoires, avec d’abord ce préjugé qui consiste à dire que les personnes en surpoids et obèses le sont pour de mauvais choix alimentaires et une absence de sport ; et ensuite un autre préjugé, ou en tout cas un jugement, qui consiste à penser que courir c’est pour les maigres, et que les personnes en surpoids et obèses n’ont pas leur place sur des courses.

Après avoir accouché de mon deuxième enfant, je courais tranquillement dans mon village et trois petites dames du coin m’ont dit : « ah oui, après le bébé il faut perdre du poids. Allez courage ! » Je me suis arrêtée net : « vous ne pensez pas que je puisse courir pour le plaisir, voire même pour la performance ? » (je préparais une Spartan Beast).

Vous savez, sur le Marathon des Sables cette année, il y avait tous les physiques et tous les âges. Je vous encourage à regarder les vidéos et photos de coureurs de trails longs. C’est sûr que les personnes qui sont sur les podiums sont souvent bien affûtés, mais ne sont jamais que trois, et sur des courses où on est entre 300 et 1000 au départ, c’est bien peu pour en tirer des conclusions sur le physique habituel des coureurs.

Vous dites que vous étiez traileur ? Il y a dix ans, est-ce qu’il y avait beaucoup de femmes au départ ? Non, parce qu’elles n’aimaient pas le regard que certains hommes portaient sur elles. Et si vous portez ce même regard de jugement sur les personnes qui ne sont pas « sèches » comme vous dites, vous imaginez le courage qu’il leur faut juste pour prendre un dossard et se dire qu’elles ont leur place sur la course et qu’elles se foutent du regard des gens comme vous ?

Avec mon physique inhabituel, je suis championne d’arts martiaux, je fais 200 burpees sans sourciller et j’ai couru des trails à étapes dans le désert et en montagne, et je repars pour 250 km en avril l’an prochain, avec plusieurs échéances de courses de 100 à 120 km, en étapes ou non. Vous voyez pourquoi votre remarque m’énerve ?

Bon, à ce moment-là, il était sidéré sous l’assaut. Quand j’ai mentionné les arts martiaux il a eu un léger mouvement de recul, je pense qu’il a visualisé le coup de pied sauté que je ne lui ai pas mis. Mais il a eu une réponse que j’ai appréciée : il m’a tendu la main, et il a dit « merci, madame, de m’avoir remis à ma place. Je suis désolé de ma remarque. » S’il ne l’avait pas faite, il n’aurait rien appris. Mais il a bien fallu que je me détende un iota pour masser la personne suivante !

Le bilan dans tout ça ? Il y a quelques jours un article du Monde mentionnait le fait que 60 % des femmes n’aiment pas leur corps et se sentent mal à l’aise à la plage. Ce type a très bien illustré pourquoi. J’ai senti des regards s’attarder parfois sur mes courbes. J’ai une bonne hygiène de vie mais je suis foutue comme ça, je ne vais pas m’en excuser, je ne vais pas en avoir honte, et au pire, si ces gens pensent que les coureuses et coureurs taillés sur mon modèle ou au-dessus n’ont pas leur place en course, ils perdent une occasion de comprendre que cela demande effort et persévérance de s’entraîner quand on n’est pas un Jornet ou une Daulwater en rythme ou en morphologie. Je ne suis pas rapide. Je blâme en partie le joli tour de poitrine que deux périodes d’allaitement m’ont laissé. Je ne ferai jamais un podium, ou alors sur un malentendu ; ou si on commence par la fin. Mais ça fait plus de dix ans que je cours, c’est bien parce que j’aime ça. Et pourquoi m’en priverais-je, même si je ne suis pas douée ? Parce que si les gens qui n’ont pas de talent naturel pour la course cessent de courir, on ne verra plus grand monde sur les lignes de départ : une course c’est le résultat d’une préparation, d’une envie.

Je n’ai pas fini mon Marathon des Sables 2023, comme un peu plus de 30 % des coureurs. Déshydratation, insolation, perfusion dans les dunes. Quand on regarde une Laurence Klein ou un coureur lambda n’ayant pas fini, la première supposition des gens c’est zut, tu t’es blessé, il faisait trop chaud, c’est dur après une telle préparation de ne pas être finisher. Quand on regarde une Héliette en général c’est : ah, tu ne t’étais pas assez préparée ?

Si si, autant que la majeure partie des coureurs, plus que certains, et clairement moins que les élites parce que je n’ai ni leurs sponsors, ni leurs moyens physiques et matériels. Mais à part ceux qui me connaissent, je n’entends pas «zut, tu t’es blessée, il faisait trop chaud, c’est dur après une telle préparation de ne pas être finisher » parce qu’avec mon physique on pense tout de suite que je ne suis pas une athlète.

Je me sens comme Jolien Boumkwo, cette formidable lanceuse de poids qui s’est retrouvée à faire du saut de haies : ma discipline, ce sont les arts martiaux. Je ne suis pas naturellement taillée pour la course ? M’en fous, j’y vais quand même, ça m’éclate. J’ai une énorme gratitude pour cette athlète qui, pour une fois, a rassemblé l’unanimité des félicitations pour son esprit sportif et sa joie. Elle a rappelé à tout le monde que le sport ce n’est pas que de la performance. Et qu’être une athlète, ce n’est pas synonyme de 20 % de masse grasse. Surtout chez les femmes : notre biologie et nos hormones, nos éventuelles grossesses, nos menstruations font que nos corps sont en constante évolution toute notre vie. Et merci aussi aux chercheurs qui viennent de démontrer que les chasseurs du néolithique étaient aussi des chasseuses. Les clichés ont la vie dure, mais on en viendra à bout.

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