Run : Guillaume, le roi Arthus de la Via Alpina

Je n’arrive pas à me rappeler la première fois que j’ai entendu parler de Guillaume. Je me souviens m’être très vite dit : « mais qui est ce mec ? ». Ce qu’il fait est à des années-lumière de ma pratique, il a l’art et la manière de trouver des courses totalement improbables et de se lancer dans des défis un peu dingues, le dernier en date étant de faire la Via Alpina seul en autonomie complète soit accrochez-vous un chemin de randonnée qui relie Trieste à Monaco. J’ai eu envie de passer une soirée à papoter et à refaire avec lui le monde merveilleux de l’ultra-trail, voici donc tout ce qu’on s’est dit !

Bon dis-nous tout, tu es comme Kilian, ton papa était gardien de refuge et tu allais tous les jours à l’école en courant pieds nus dans la montagne ?
Non, pas du tout j’ai vécu en région parisienne toute ma vie ! Mais les vacances en famille chez moi c’était toujours synonyme de séjours en montagne à randonner, faire du rafting, du canyoning, bref explorer tout ce que la nature peut nous offrir comme possibilités. J’ai commencé à randonner sur le dos de mon père et enfant nous faisions des journées entières en montagne. 12, 13 heures de rando à 12 ans, c’était la norme avec mes parents alors forcément ça marque ! Du coup lorsque j’ai commencé à courir, c’était pour faire l’UTMB ou rien d’autre, enfin presque : j’ai d’abord fait le marathon de Paris avec mon frère, ce fut mon premier dossard. Dès que j’ai chaussé des baskets pour aller courir, je suis parti pour 21km sans problème, j’ai vite compris que j’avais trouvé un truc qui allait me convenir. La machine était lancée.
Ces moments de pratique sportive en famille ont d’ailleurs été des moments forts de partage. On était une famille sportive mais pas dans un esprit de compétition, juste dans l’esprit de vivre des moments ensemble. Quand on faisait du rafting, chacun connaissait sa place et son rôle. Chez moi, nous devions faire un sport et un instrument, à nous de trouver celui qui nous convenait le plus. J’ai testé le judo comme mon frère mais très vite j’ai compris que ce n’était pas pour moi et je me suis épanoui dans la natation.

Mais pourquoi ne pas être resté sur un circuit plus « classique » si tu as des capacités comme cela semble être le cas ?
Pour moi la course à pied n’a jamais été une finalité en soi, mais juste un moyen d’aller plus loin, de voir plus de choses en moins de temps. Le chrono n’est pas le plus important, je fais tout ça avant tout pour explorer de nouveaux paysages. Ma philosophie c’est plus les grands chemins de rando en solo que les dossards et la foule…

2650km pour 170 000 de dénivelé positif… en 43 jours.

J’ai une autre vraie question : mais saperlipopette tu les trouves où toutes ces courses improbables comme la désormais fameuse Tunnel Ultra (200 miles en mode hamster dans un tunnel en Angleterre) ?
C’est devenu ma spécialité ! Je lis énormément de récits et assez paradoxalement les réseaux sociaux ne me servent pas à grand-chose. La très grande majorité de ces courses un peu décalées pour ne pas dire complètement dingues, j’en entends parler sur d’autres courses justement, à un ravitaillement, en discutant avec un autre participant. Et puis aujourd’hui avec ma petite notoriété, les organisateurs me contactent même directement comme celui de la 480 en Himalaya en 2016. Le plus dingue dans ce cas c’est que je lui ai demandé combien on serait au départ et il m’a répondu : « pour l’instant, il n’y a que toi, mais si tu viens, et même si tu es seul, je l’organise ». Comment refuser un projet pareil ! En Angleterre, il y a pleins d’ultras bien tordus qui me plaisent forcément. Mais oui il faut chercher un peu pour les trouver.

Et la Via Alpina alors ? Ce projet est né comment ?
Il est né tout de suite après mon UTMB en réalité, cela fait donc des années que j’y travaille. C’est pour ça que j’ai accumulé des courses, des projets pour construire mon expérience. J’ai, pendant toutes ces dernières années, uniquement œuvré à me préparer pour ce projet. Toutes les courses un peu dingues que j’ai faites, avaient pour but de me tester physiquement mais aussi de tester du matériel par exemple, en apprenant à me connaître parfaitement. J’avais envie de découvrir les Alpes et d’ailleurs j’encourage tout le monde à aller casser mon record surtout, n’hésitez pas ! Il faut aller voir ces paysages incroyables avant tout mais n’y allez pas pour la médaille… Ce serait dommage, allez-y pour la vue et l’expérience.

Barkley, tunnel, Himalaya… et la logique dans tout ça ?

Enfin quand même… le tunnel et la Via Alpina, ce n’est quand même pas la même limonade, tu m’expliques le lien ?
Oui, je suis d’accord mais c’est une expérience tout à fait particulière. Déjà parce que j’étais tout le temps avec les autres participants ce qui n’arrive jamais sur les ultras de montagne classique. En réalité, c’était une sorte de 24h de l’extrême, destiné avant tout à apprendre à mon corps à encaisser les kilomètres. J’ai prévu d’ailleurs en 2020 de faire un « vrai » 24h pour poser un chrono de référence. Je compte aller à l’INSA à Lyon, ce sera l’occasion aussi pour moi de faire la fête ensuite avec les copains ! (15,16 et 17 mai, vous avez une course à pied ou à vélo et un festival de musique en parallèle sur le campus de Villerbanne)

Tu as d’autres idées pour 2020 ?
Je retourne sur l’Himalaya pour la finir et sur l’Escape from Meriden parce que j’ai le record alors je dois aller le remettre en jeu. Je vais être un peu plus calme mais pour faire simple, ce sera l’année du règlement de compte puisque je vais retourner sur toutes les courses que je n’ai pas finies lors de ma prépa Via Alpina pour leur régler leur compte justement et passer ensuite à la préparation de nouveaux gros projets rando « non-stop » sans assistance. Quoique j’ai en tête de faire St Jacques de Compostelle en courant ! Ah et peut-être aussi un Las Vegas / Los Angeles en non-stop. Je vais d’ailleurs commencer par coacher une équipe qui le fait en relais en février prochain pour le repérage.

On ne connait pas cet état mais le Liechtenstein ça ressemble à ça !

Ok, mais tu as une vie professionnelle non ?
Oui je sais ! Je vais devoir jouer avec mes RTT et mes congés. Jusqu’en mai, c’est limite mais ça devrait s’éclaircir pour l’été.

A t’écouter on a le sentiment que c’était inné tout ça pour toi, et l’acquis dans tout ça ? Il compte ou pas ?
Il y a un inné forcément ; le mental pour moi c’est ta capacité de résilience qui n’est pas à résumer en kilomètre parcourus. Ce que tu peux travailler c’est de déplacer le curseur de cette résilience justement… C’est ce que j’ai fait pendant 5 ans, toutes mes courses, toute ma préparation n’avait qu’un seul but, bouger le curseur pour faire qu’à 80%, à ma vitesse confort, mon projet passe. Cela ne comprend pas uniquement l’entraînement pur et dur, même si évidemment qu’enchaîner les kilomètres verticaux, c’est indispensable. Ça passe aussi par accepter d’encaisser toutes les conditions météo, apprendre à connaître son matériel par cœur, être super à l’aise en navigation… Tout se travaille et cela demande du temps mais surtout un vrai investissement. Et cette volonté, je pense que c’est l’inné. Les deux sont indissociables. Mais oui, on ne peut pas partir de zéro pour des projets comme la Via Alpina. Ma capacité à encaisser les choses, à être aussi capable de prendre des décisions cartésiennes dans les moments difficiles, je l’ai depuis toujours. Mais pour être sur justement de toujours être capable autant que possible de prendre les bonnes décisions au bon moment j’ai créé un arbre décisionnel qui me permet de me protéger, même s’il n’est pas parfait évidemment. C’est tout un ensemble de choses, innées et acquises qui m’ont permis de venir à bout de ce projet.

Tiens d’ailleurs, puisqu’on en parle, tu as un coach ou pas ?
Non, je me débrouille aujourd’hui seul mais j’ai commencé avec un coach. Bruno Heubi qu’on ne présente plus intervenait dans l’entreprise où je travaillais. J’ai passé 6 mois à écouter ses conseils, il m’a appris le fondamental, à structurer un plan d’entrainement, le fractionné court, le long… J’ai juste fait x 10 pour mes projets actuels ! Autre méthode que j’ai décliné et adapté le MENA : mental, endurance, navigation, autonomie. On choisit une course pour travailler un item particulier. Cela explique du coup plus facilement le côté un peu « ça part dans tous les sens » de ma prépa et de mes choix de courses préparatoires. Chacune avait un but bien précis, un item que je devais travailler. Cette méthode d’organisation, de planification et de stratégie est pour moi la plus intéressante à développer surtout pour les personnes comme moi se retrouvent un jour en mode « bon et après l’UTMB je fais quoi ? ». Beaucoup envisagent la PTL ou le Tor des Géants mais basculer dans cette dimension va demander une totale remise en cause de la préparation classique où il suffit de borner et de faire du dénivelé.

Un kiné préféré ? un staff médical ?
Comme je partais du principe que j’allais être en autonomie, j’ai préféré apprendre à m’en passer. Au moins on apprend à bien se connaître et à gérer les petits bobos tout seul comme un grand !

Je peux te poser une question personnelle ? Mais tu t’es lavé pendant la Via Alpina ou pas ?
Euh non ou presque ! Et oui, si je suis toujours habillé pareil sur les photos c’est que je ne me suis pas changé non plus je le crains. Mais c’est l’avantage des projets solo sans assistance ! J’ai juste un t-shirt que j’ai customisé à l’extrême et que je porte depuis des années. J’ai des sous-vêtements mérinos en seamless qui n’entraînent vraiment aucun frottement (pour ça, j’avais un change je te rassure !). Et mon ¾ que j’ai lui aussi depuis des années. Avec cette tenue je prends des amplitudes de température de dingue, même si évidemment j’ai aussi une veste imperméable. Je connais ce matériel par cœur et il me correspond bien. Je sais que ça peut paraître bizarre mais je ne suis jamais monté dans les tours, donc je transpire très peu dans ce type d’effort.

Tu sembles avoir maîtrisé ta balade de bout en bout, illusion ou réalité ?
J’avais un plan de route ultra précis, très préparé. Malgré deux ou trois moments de flottement comme le 9ème jour où j’ai été malade, et j’ai forcément du décalé mes objectifs de passage. Il m’a fallu deux jours et demi pour rattraper ce premier retard. J’ai oublié mon matos un jour, ce qui m’a obligé à faire demi-tour et là aussi j’ai perdu une demi-journée. Il m’a fallu 10 jours de chasse patate sur toute la partie Suisse pour rattraper ce temps. La Via Alpina c’est 161 segments, je suis parti sur une base d’un peu plus de 3 segments par jour. Au 32ème jour, j’étais de nouveau sur mon plan de route à la minute ou presque. Mais j’ai encore dû affronter quelques adversités comme une météo exécrable pendant 10 jours en France, avec des chemins inondés mais vraiment inondés où j’avais de l’eau jusqu’aux genoux. Ça tenait plus du canyoning que du trail cette histoire ! J’ai aussi eu une étape que j’ai mal calibrée, et faire 80km avec 6500 de D+ en une journée ça s’est révélé très compliqué. La dernière étape, j’ai fait nuit blanche pour rattraper mon retard mais aussi parce que je savais que c’était fini, je n’avais plus besoin de respecter un plan de route, une routine. C’est en réalité ma plus grande fierté puisque je tiens mes délais malgré l’adversité de la montagne. 3% de décalage sur mon plan de route initial, franchement pour presque 2600km, ce n’est rien. Ce résultat final n’est que l’aboutissement de 5 ans de préparation intensive, même si j’ai eu aussi quelques bugs du côté matériel. Je suis parti avec une paire de Leadville 100 que j’avais mis de côté depuis 2016, spécialement pour ce jour-là. Mais elles sont devenues lisses, impossibles à porter, je tombais tout le temps. J’ai dû m’acheter la première paire que j’ai trouvé qui convenait à mon 48 fillette. C’était une paire d’une marque que je ne connaissais pas du tout, des Lowa. Elles se sont usées super vite pour finalement se stabiliser et elles m’ont emmené au bout de mon aventure. Autre « erreur matériel », j’avais une veste Columbia Titanium que j’adorais, super efficace (je ne connais pas mieux !) mais que justement j’avais trop usé avant le jour J et qui a montré des signes de faiblesse. Là encore j’ai acheté la seule veste de running que j’ai trouvé dans la vallée à ce moment-là et elle a fait le job. De toute façon je n’avais pas le choix et nécessité fait loi…

En parlant justement préparation, nous n’avons pas parlé de nutrition, tu gères ça comment ?
Comme je partais du principe que j’allais être en autonomie complète, je préfère faire sans plan justement. Question alimentation dans mon quotidien, je mange de tout. Je n’utilise pas de compléments alimentaires. Je tourne à ce que je trouve sur les ravitos, je peux courir sur absolument n’importe quoi parce que sur un projet comme la Via Alpina, si tu commences à faire le difficile et à avoir des exigences, ça va devenir sacrément compliqué. Si je dois manger des m&m’s pendant deux jours, je le fais sans me poser la moindre question. Evidemment j’essaye de varier, de faire des choses équilibrées mais si je ne trouve que de la tartiflette, je mange de la tartiflette ! J’ai perdu entre 3 et 4kg sur ce périple même si j’ai pesé moins pendant parce que j’ai eu un souci de ravitaillement. J’avais 280km à faire et de la nourriture pour 120km… Il a fallu faire avec et là j’ai clairement vu que je perdais du poids à la vitesse grand V. Mais le plus étonnant c’est que dès que j’ai pu me renourrir normalement, j’ai repris. On peut donc vraiment prendre du poids tout en faisant un effort de dingue. Evidemment lorsque j’ai fini je n’avais plus une trace de gras nulle part mais en une semaine j’ai récupéré des formes et mon poids est revenu à la normale.

Question gestion du sommeil ça donnait quoi pendant et ça a donné quoi après ?
Je dormais 4h par nuit, c’était mon plan de route. Alors forcément lorsque je suis rentré à la maison, j’ai eu du mal à revenir à un cycle de sommeil classique. J’étais réveillé à 1h du mat en mode « bon alors on va courir » … Mais après une semaine, je suis allé voir mon ostéo, qui n’a pas vraiment eu à travailler le structurel. Il a axé la séance sur la remise en route des viscères plutôt. Mon système digestif a forcément mal réagi lorsque je suis revenu à une alimentation normale et les trois repas par jour. Il a tout remis en route et le sommeil a naturellement suivi.

Et les pieds ?
J’avoue j’ai une très grande capacité d’encaissement de la douleur à ce niveau-là. Mais je n’ai pas spécialement eu de problèmes d’ampoules à proprement parlé. J’ai très vite strappé pour protéger avant que les ennuis arrivent. Je pouvais consulter une amie podologue que j’appelais pour lui expliquer ce que je venais de faire sur mes pieds et généralement elle me disait toujours « nickel je n’aurais pas fait mieux ». Mon seul luxe était une serviette que je gardais uniquement pour essuyer mes pieds et me coucher tous les soirs les pieds au sec, c’est la meilleure idée que j’ai eue ! Mais si l’épiderme n’a finalement que peu morflé, ce n’est pas le cas de mon derme… Il a fallu attendre 15 jours pour que je puisse aller voir le podologue justement pour qu’il nettoie ce qu’il y avait à nettoyer. C’était beaucoup trop sensible avant. Mais aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre et crois-moi, j’ai créé une telle protection naturelle sur les pieds qu’on va pouvoir commencer à s’amuser un peu !

Le retour à la vie normale, pas trop dur ?
Forcément un peu… Quand tu as passé dix jours sous la pluie à ne croiser que quatre personnes et deux cents chamois et que tu te retrouves derrière ton bureau au boulot… c’est forcément un peu compliqué. Ma première journée de travail, je me suis contenté d’ouvrir les mails mais très vite j’ai dû m’y remettre. Je travaille dans l’univers de la comptabilité, c’est structuré, cadré, ça aide à repartir dans le monde réel plus facilement aussi je pense. J’ai un métier technique, ça aide. Et puis maintenant, après des années de road trips à travers le monde et d’ultras, j’ai l’habitude de ce type de retour à la réalité même si le bruit de la ville est difficile à supporter au début. Tout est agression…

Bon, et maintenant les grands projets ça donne quoi ?
Déjà surement St Jacques en courant parce que c’est facile, accessible et un terrain de jeu idéal pour préparer autre chose, pour travailler la vitesse. Evidemment les grands chemins de randonnée des USA me font de l’œil comme le record de l’Appalachian trail qui est à reprendre à un belge Karel Sabbe, dentiste de son état. Il l’a réalisé en autonomie et dans l’indifférence générale ou presque ! D’ailleurs il détient tous les records sur les trois grands chemins de rando là-bas. Evidemment le battre va être très très compliqué mais ça me donne une base de travail et de préparation. C’est beaucoup moins technique que la Via Alpina, beaucoup plus « roulant », il va donc falloir travailler la vitesse, en privilégiant moins le dénivelé et la technicité. J’ai commencé aussi ma réflexion sur ma vie pro… Livre, conception d’un sac de trail, coaching… Je cherche avant tout à partir sur un projet de vie pérenne qui me permettrait d’en vivre réellement, et pas uniquement pendant deux ou trois ans. Cela va donc demander du temps et de la réflexion, mais ça j’ai l’habitude !

Pour conclure tu aurais un conseil à donner à celles et ceux qui viennent de passer un moment en ta compagnie ?
On se sous-estime énormément, ne l’oubliez jamais !

Vous pouvez retrouver le blog de Guillaume alias Runnexplorer ici !

Crédit photo : Peignée Verticale