Une fois n’est pas coutume, ce récit n’est pas de moi mais d’un autre participant Tito Nazar qui a su mettre ses mots sur cette course incroyable que j’ai eu la chance de faire un jour lors de la première édition en 2015 (récit à retrouver ici). Je le publie parce qu’il est un style particulier, un style poétique que je n’ai pas, étant nettement plus pragmatique… Mais je m’y suis totalement retrouvée alors j’ai eu envie de le partager.
Les montagnes de Paine derrière nous, le Mont Donoso sur notre droite accompagné de plusieurs glaciers, difficile de rester indifférent sur le départ des 70 kilomètres de l’Ultra Fiord 2017. Il est dit que de tels moments intenses sont propices aux sentiments antagonistes, tels l’envie et la peur, l’amour et la haine. C’est le cas pour moi ce matin.
Courir à travers la Patagonie du sud me rend follement amoureux de cette terre australe. Le trail est un sport à part, véritable donneur de leçons de vie à ses pratiquants. Je suis néanmoins critique vis-à-vis des ravitaillements, rappels à la civilisation durant nos odyssées. Repousser nos limites psychiques et physiques est alors possible avec un filet de sécurité, avec l’idée qu’il nous est possible d’abandonner à chaque instant. Pire, si la course dispose d’une logistique trop importante, cela empêche les vraies capacités des participants d’être mises en valeur.
Vous vous en douterez, mon parcours de la journée n’est pas de cette lignée. L’Ultra Fiord est une course rebelle, une course presque romantique tant l’harmonie avec la nature sauvage est profonde, une course où n’importe quelle distance exigera un haut degré d’autonomie. Ajoutez une météo imprévisible et un accès compliqué, vous obtenez une épreuve s’imposant pour moi comme la reine du plateau mondial des courses de trail.
A mon sens, la meilleure stratégie est d’arriver sur la ligne de départ bien trop préparé pour la distance retenue. C’est une exigence si l’on souhaite, d’une part arriver sur la ligne de départ, et d’autre part, disposer de suffisamment de fraicheur pour savourer cette course hors-norme. L’Ultra Fiord est un tracé dont les rubalises invitent à un véritable voyage au bout du monde.
En ce petit matin de course, l’air de la vallée est encore froid, et il ne manque pas grand-chose pour que le gel soit encore des nôtres. Les pâles rayons du soleil levant ont néanmoins réussi à vaincre la rigueur de la nuit, dont le froid a laissé encore des plaques sur l’herbe jaune posée devant nous. A l’horizon, les sommets enneigés et les rochers recouvertes de cristaux implorent au jour levant de les épargner. L’ambiance sur les premiers pas de course a un je ne sais quoi de primitif. Le silence environnant ne fait que sublimer la sauvagerie ambiante.
Le vent était quant à lui étonnamment absent. Seuls nos pas et le froid répondent à l’appel de la plaine, les rayons solaires étant encore coincés derrière l’amas de montagnes nous entourant. La boue est néanmoins présente, mais encore supportable à cette heure précoce de la journée. Presque agréable lorsqu’elle est mélangée avec de l’eau, si ce n’est que j’ai l’impression d’être sur le point de geler. Les branches humides et les racines glissantes exigent que nos yeux restent au sol, scannant chaque centimètre carré à la recherche du piège potentiel et ainsi éviter de tomber la tête la première sur ce sol traitre.
Les premiers reliefs atteints, les rayons encore faibles du soleil sont enfin sur nous. Le peu de chaleur sur nos visages est un cadeau que seul la nature peut nous donner. En Patagonie, toute aide est la bienvenue. Le moment étant d’autant plus agréable que ces mêmes rayons rendent les couleurs plus intenses, et les odeurs plus riches. Chaque foulée est un mantra de gratitude : nous avons choisi d’être là, et la nature nous en remercie.
Une montée exigeante nous transporte sur le joyau de ce parcours patagonien : le glacier Chacabuco. Avant de le traverser, il nous faut descendre le long d’une moraine, vestige d’un temps ancien où le glacier était plus majestueux. Les pierres polies par la glace et les eaux nous rappellent que nous ne sommes qu’une seconde comparée dans l’histoire de la Terre. Le glacier se rapprochant, on se sent humble devant cette puissance naturelle. Les montagnes au loin nous appelant de leur chant, il nous faut cependant répondre à leur appel. Oui, nous allons devoir traverser un glacier.
Mais qu’elle est donc cette course qui vous demande de traverser un glacier… Et pas n’importe lequel. N’imaginez pas une flaque de glace que le temps a fini par vaincre. Non, nous avons devant nous des millions de mètres de cubes de glace, vieux de plusieurs millénaires, posés sur une pente qui serez déjà difficile à parcourir si nous avions un sentier. L’Ultra Fiord nous transporte dans des endroits peu fréquentés, et donc peu impactés par l’Homme. La nature est sauvage, vierge, presque dangereuse pour celui qui ne la respecte pas pour ce qu’elle est. Nous sommes ici, parmi les géants de Patagonie, à transpirer d’âme et de corps pour atteindre une altitude d’à peine 1200 mètres.
Le glacier derrière nous, le tracé continue de nous faire rêver avec une traversée sur un second glacier, à la pente moins forte, parfaite pour courir si ce n’est galoper. Mais la glace n’est pas la seule à nous amuser, et la prochaine barre rocheuse à passer permet de se prendre au jeu de l’escalade dans des dédales de pierres concassés par les glaciers d’antan. Sans oublier la vue au loin sur les Torres del Paine, magnifiées par la lumière propre à ce bout du monde.
Mais une fois redescendu de ce paradis, il nous faut affronter la boue. De la boue, noire, brune, liquide, pâteuse, en train de sécher ou déjà séchée… La boue est l’ingrédient qui fait ce qu’est la Patagonie : une terre pour personnes braves, fortes et humbles. Rien n’est facile sur cette terre australe, mais celui qui en accepte le prix embrasse une terre de légende. La Patagonie est une région de contraste, où la vie abondante côtoie la mort la plus crue. Où l’oubli côtoie la gloire éternelle… Et l’Ultra Fiord en est l’écho formidable.
Le temps de parcours prévu n’est évidemment pas le temps à la ligne d’arrivée pour la majeure partie des concurrents. Les chiffres sur le papier ne sauraient résumer une telle course. L’Ultra Fiord est imprévisible de par l’unicité de son environnement, dans lequel les coureurs devront savoir résoudre les problèmes les uns après les autres, une course à vivre dans l’instant présent, à travers un monde sauvage et une météo le plus souvent hostile. Mais un tel tracé saura vous faire profiter des moindres traces de chaleur apportées par les rayons de soleil touchant votre peau. Cette communion, cette récompense, ne sera donnée qu’à ceux qui mettront leurs pieds dans la tourbe. Qu’à ceux qui iront toucher leur limite, qu’à ceux qui iront tester leur psyché face aux paysages sauvages. Les fjords sud patagoniens nous apportent au fil des kilomètres les réponses à nos questions profondes. Et seulement ainsi nous pouvons savoir de quoi nous sommes faits.
L’Ultra Fiord est romantiquement hostile. C’est une course pour ceux qui recherche une expérience allant au-delà des parcours conventionnels, une course pour ceux à la recherche d’un défi colossal. Mais je pense que sa magie n’est perceptible que par ceux qui savent, qui ont pu courir, respirer, toucher et vivre ce tracé. Je pense que l’Ultra Fiord est un savant mélange. Une course à la fois terrible et éprouvante, mais également sublime et généreuse. Une course appartenant à une classe supérieure.
Le profil de l’Ultra Fiord est le meilleur que j’ai pu voir dans ma carrière. Il est à mon avis indiscutable que les ajustements apportés d’année en année sont similaires à la création d’un joyau, d’une œuvre d’art du trail-running, où les coureurs retrouvent leur état sauvage pour être en harmonie avec leur environnement. Vous vous dîtes coureur d’ultra, venez le confirmer face à elle. C’est aussi simple que cela.
Ah pour ceux que cela intéresserait, on annonce la présence de Xavier Thevenard pour l’édition 2018. Je reprends ses mots « vous prenez l’UTMB, vous prenez la Diag, vous enlevez les chemins, vous avez la Patagonie »… Tout est dit !