Parce qu’il est temps de rendre à César ce qui lui appartient, je voulais vous presenter Bobbi Gibb, la première femme à avoir bouclé le marathon de Boston. Même si l’histoire ou plutôt les médias n’auront retenu que le nom de Kathrine Switzer l’organisation de ce marathon a officiellement reconnue Bobbi comme étant la première femme à finir la distance mythique. Et quand on connait sa vie, cela vaut encore plus la peine de mettre un coup de projecteur sur elle !

Elle a aujourd’hui 62 ans et pendant sa vie professionnelle elle a été tour à tour instructeur d’équitation, avocate, elle a travaillé dans un laboratoire de neuroscience et fut même sculptrice ! Bref, rien qui ne prédisposait vraiment Bobbi à prendre le départ du célèbre marathon de Boston. Et pourtant c’est ce qu’elle a fait le 19 avril 1966, planquée dans des buissons, camouflant son visage très féminin avant de rejoindre le flot des coureurs dès que le coup de pistolet a retenti. Elle avait bien un dossard mais forcément son inscription était « masculine », Bobbi comme prénom, ça prête facilement à confusion.

Replongeons-nous un instant dans l’époque… Parce que nous sommes là toujours en train de filer des leçons de morale à tout le monde, mais en France le droit de vote est acquis pour les femmes depuis 1945. En 1966, quand Bobbi s’élance, cela fait seulement un an qu’en France une femme peut ouvrir un compte en banque à son propre nom et trouver un travail sans l’accord de son mari… Mais Bobbi se révolte, l’adolescente ne comprend pas pourquoi devenue femme elle n’a plus le droit de rien faire. C’est ça tout le paradoxe de cette époque : les filles font du sport au lycée ou à l’université pour les plus chanceuses qui y accèdent mais dès qu’elles se marient tout est fini. La vie professionnelle aussi d’ailleurs… Avoir des enfants et continuer à travailler lorsque ton mari peut assurer, ce n’est pas convenable. Evidemment, les femmes « pauvres » travaillent depuis toujours, la question pour elles ne pose même pas pour elles, mais toutes les autres commencent petit à petit à refuser leur destin.
Un jour, Bobbi découvre les images du marathon de Boston, se dit « je voudrais vivre ça un jour » sans remarquer qu’il n’y a pas de femmes présentes au départ. Elle s’entraine avec des chaussures de garçon, les chaussures pour filles n’existent pas encore et finit par envoyer son inscription à l’organisation. Qui lui répond qu’une femme n’est pas capable physiquement de courir 42km… Mais comment peut-on le savoir puisqu’on refuse aux femmes d’essayer ? Alors elle se prépare et se rend tout de même le jour J sur la ligne de départ. Elle a tout fait pour camoufler sa silhouette féminine terrorisée à l’idée qu’on reconnaisse sa condition de « sexe faible » comme ils disent. Cela ne suffit pas puisque plusieurs coureurs autour d’elle comprennent la supercherie mais la rassurent tout de suite, non seulement ils la laissent courir mais l’encouragent. Les spectateurs finissent par comprendre et de toute part, elle est acclamée sur le parcours. Elle finira même en étant félicitée par le gouverneur du Massachussetts qui vient lui serrer la main sur la ligne d’arrivée. Elle reviendra en 1967 et 1968 courir ce foutu marathon mais il faudra pourtant attendre 1972 pour que les femmes puissent le faire officiellement.

Et pourtant tout le monde n’a retenu que Kathrine Switzer, son jogging et le juge qui tente de l’expulser… Elle aussi avait joué sur l’ambivalence de ses initiales pour s’inscrire au marathon. Mais il y a eu cette photo, inoubliable photo qui a fait le tour du monde et qui reste le symbole du refus de l’homme de laisser la femme courir comme lui. Sans ces deux femmes, sans leur courage et leur audace, combien de temps aurait-il encore fallu attendre ? Il a fallu attendre 1984 et les JO de Los Angeles pour voir la première médaille olympique remise à Joan Benoit, qui a dû faire se retourner dans sa tombe cet incroyable misogyne de Coubertin. Mais vous savez quoi ? Si on cherche bien il y a d’autres femmes qui avant se sont lancées dans l’aventure du marathon, on parle d’une Mélopène, grecque forcément, qui aurait couru le marathon en 4h30 en 1896 et de façon encore plus officielle, puisque l’IAAF a validé son temps, de Violet Piercy qui courut la course Windsor-Chiswick le 3 octobre 1926 en 3h40 ’22 (ça compte les secondes !). Alors rendons à César ce qui lui revient et surtout rendons à Mélopène, Violet et Bobbi leur marathon !