Nous sommes le 10 mars, il est 4h30 heure locale et je suis dans la bibliothèque du bateau qui a fut surement en son temps la salle des officiers lorsque j’écris ce texte. J’ai les 2 chaufferettes gracieusement offertes par Patrick, mon collègue français qui pour la petite histoire vient de Tahiti (bonjour le choc thermique) collées sur les lombaires. Je suis douchée, restaurée, ma tenue est en train de sécher dans un coin du bateau et même mes chaussures sont lavées ! Voilà j’ai fini le marathon de l’Antarctique ! Le fameux, celui pour lequel finalement tout a commencé. Sans cette course, je n’aurais jamais lancé tout le reste, tout ce tour du monde totalement surréaliste quand on y pense.
Mais revenons au début de la journée : réveil avec la radio du bord, il est 6h00, good morning Antarctica !!! Le petit déjeuner est prévu à 6h30 pour nous permettre de digérer un peu. Mais franchement quand je vois ce qu’avalent mes voisins, je pense sincèrement que 2h30 de digestion ne seront pas suffisant. C’est là que l’on voit tout de suite la différence : les « pros » qu’ils soient américains ou européens se contentent de pain grillé, miel, thé ou café, les « amateurs » se restaurent comme si de rien était. Et que je t’avale du porridge bien lourd en n’oubliant pas la sauce qui va avec, des fruits en pagaille, des pommes terre (euh c’est un marathon ou un ultra ?) des œufs et du bacon, tout y passe. Tu me diras, quand on sait qu’il y a eu 100% de finishers, je me demande si je ne devrais pas essayer un jour ce régime un peu spécial pour les acètes de la course à pied que les français sont la plupart du temps.
Nous devons attendre 8h15 pour le départ des premiers zodiacs et c’est vraiment là que la course va bien sur sortir de l’ordinaire. Il faut s’habiller pour faire du bateau tout en sachant, qu’arrivé à terre, il n’y aucun vestiaire de prévu. Je prépare donc mes pieds tranquillement sur le bateau avant de les glisser dans les bottes réglementaires. J’enfile mon blouson imperméable, mon pantalon Kway et mes grosses chaussettes sur mes chaussettes de course. Bref, j’empile les couches pour faciliter le déshabillage sur place. Pour la tête, je décide de jouer la prudence, la balade sur le zodiac la veille m’a confirmé que mes oreilles aussi petites soient-elles ne supportaient pas le froid. Ce sera donc bandeau polaire et bonnet ! Le look sexy à mon avis laisse les pingouins indifférents de toute façon.
Les cieux sont avec nous ce matin puisque la mer est d’huile et que je vais arriver à terre tout sèche. Je saute allègrement du zodiac ravie de la vision qui s’offre à moi : le comité d’accueil est bien là avec Monsieur le phoque et ses copains les pingouins. Bon ok le phoque n’applaudit pas, il aurait même un regard désespéré du style : « oh non, c’est pas vrai, les frappés sont revenus » mais il pose comme la star de la journée qu’il est. Nous nous dirigeons tous vers ce qui va nous servir de camp de base en plein air puisque, et décidemment les dieux sont vraiment avec nous, il ne pleut pas ! Franchement maintenant avec le recul la même course sous la pluie, je crois que j’aurais rendu mes runnings moi…
Lisa se concentre…
Nous retrouvons les coureurs chiliens (militaires pour la plupart) et chinois, venus de leur base respective pour courir le marathon. Nous avons appris d’ailleurs la veille que les chinois totalement enthousiastes vis-à-vis de la course ne se contentent pas d’envoyer des coureurs, ils vont aussi assurer un ravitaillement sauvage sur leur base avec bière pour les amateurs mais aussi eau et soda.
Je me change tant bien que mal, j’enfile mes guêtres qui vont se révéler totalement indispensables et me voilà fin prête. Pas de ceinture, je sais que je vais devoir garder ma veste pendant toute la course, je vais donc tout mettre dans les poches. Je découvre d’ailleurs à cette occasion que la veste spéciale running grand froid offerte par Brooks est très bien conçue avec de grandes poches vraiment accessibles à l’intérieur sans que j’ai forcément besoin d’enlever mes gants, la petite poche secrète pour le lecteur MP3, bref en plus d’être jolie, elle est vraiment faite pour courir. J’ai vraiment été gâtée moi…
Direction la ligne de départ, ça devient tendu tout d’un coup. Je cherche mon chrono que je vais essayer de mettre au bon moment cette fois ci parce que je sais déjà que nous n’aurons bien sur aucun temps intermédiaire pour nous aider un peu à nous repérer dans le temps. Un coup de sifflet, les coureurs se lancent pour ce qui sera pour beaucoup leur plus long marathon. Ceux qui sont là pour gagner vont se détacher très vite et rester en tête tout au long de la course. Ah oui tiens parlons un peu du parcours. Nous sommes à la base chilienne, nous partons vers la droite de l’île pour rejoindre la base de l’Uruguay juste avant le fameux glacier pour revenir sur nos pas, passer la base russe, puis nous diriger vers la gauche de l’île vers la base chinoise. Je sais ça a l’air compliqué comme ça mais finalement l’avantage quand on court à ma vitesse c’est qu’il y a toujours quelqu’un devant qu’il faut juste suivre !
J’ai très vite compris une chose en tout cas : mon projet de tenter de suivre Lisa, une américaine avec laquelle j’ai immédiatement sympathisé, est totalement utopique, elle court comme une gazelle. Bon tu me diras j’aurais du m’en douter, elle a un record à 3h23… Mais naïve que j’étais, je m’étais accrochée à cette idée pour me rassurer un peu. Il va donc falloir se résoudre à courir ce marathon seule, toute seule comme une pauv’ cow girl abandonnée… J’ai mon lecteur MP3 heureusement mais je sais que j’ai oublié de le charger à bloc et qu’il ne tiendra pas toute la distance. Autre chose à laquelle il va falloir se résoudre, c’est le terrain. C’est un trail et à l’époque je suis plutôt bitume (enfin pour dire vrai je ne suis douée sur aucun terrain). Bien sur, je sais que je peux tenir 68km dans la boue, de nuit, à la lampe frontale puisque j’ai fini la Saintelyon quelques mois auparavant et cela va d’ailleurs me tenir tout le long : « tu peux le faire, tu l’as déjà fait ». Ca grimpe, ça redescend, histoire de nous réveiller ils ont disposé dans la nuit des ruisseaux bien glacés que nous ne pouvons pas éviter…
De toute façon j’ai décidé de faire ma traileuse aujourd’hui. Je suis devenue grande maintenant alors je vais arrêter de faire ma fille qui cherche désespérément à garder ses pieds au sec. Je saute donc allègrement dans les rivières glacées, je déboule dans les descentes comme une cinglée (je vole à 11km/h, pousse toi Usan j’arrive !) que je suis d’ailleurs, même pas peur ! Je vais faire du zèle au début en grimpant les côtes mais je vais vite comprendre qu’il s’agit de finir cette course et qu’il va falloir me calmer. Le seul coureur avec lequel je vais discuter (enfin si on peut appeler notre échange une discussion…) est un pilote de l’armée chilienne qui a l’air tout surpris que je m’arrête pour prendre une photo. Vous auriez vu sa tête quand je lui ai dit que quelques jours avant ce marathon, j’étais à Puerto Montt pour faire la même chose avec un passage en France histoire de faire ma lessive… Il a eu l’air très surpris qu’une française ait couru dans cette ville du sud de son pays. Je continue allègrement ma course, jusque là tout va bien. Ah oui j’ai oublié de vous dire : pour ne pas me mettre la pression inutilement et puisque de toute façon cette course n’est pas vraiment ordinaire, j’ai décidé de ne jamais regardé mon chrono hormis au passage du semi pour avoir une petite idée de l’étendue des dégats…
J’arrive enfin en vue du fameux glacier dont on m’a tant parlé mais il faut se rendre à l’évidence, le parcours est piégé… Il y a un vrai champ de boue mais quand je dis boue c’est vraiment boue. Je m’enfonce là dedans jusqu’aux chevilles. Je ne cherche même pas à trouver une pierre pour essayer de limiter les dégâts, comme je l’ai déjà dit plus haut, je suis une grande, je m’enfonce dans la boue comme les pros ! Le glacier est là et de toute façon je vais marcher. Hors de question de me fracturer quelque chose en glissant bêtement pour quelques secondes gagnées. J’ai un marathon dans 10 jours et si Paris n’est finalement que pour le fun, il serait vraiment stupide que je ne puisse pas courir Tokyo si prêt du but. Je n’ai pas le courage d’installer les yaktraks pour si peu en fait, je vais juste faire attention. Je fais coucou au photographe qui nous attend là haut et je repars.
Re patauge dans la boue et re passage sur une partie très caillouteuse et là il se rendre à l’évidence, ma cheville gauche fragilisée par mon récent accident de moto me lâche… En dehors du fait que je ne suis qu’au 9° miles et que je me prépare à une course quelque peu difficile, je pense tout de suite à la trans’aq fin mai, mon premier ultra en étapes, ma première course de grande. Il va vraiment falloir que je trouve une solution pour faire face à ce problème qui devient maintenant récurent. De toute façon coûte que coûte je dois finir cette course alors que ce soit dans la douleur, sur les genoux, sur les mains, je vais la finir. J’essaye de trouver une position du pied quand le sol est plus clément pour soulager la zone douloureuse et j’avance. Au détour d’un chemin, je tombe sur la plus jeune de groupe, à savoir une gamine de 14 ans venue pour courir le semi. Elle est sur l’autre bateau et a pris un autre départ que nous. Ce que je supposais se confirme, ce n’est pas son choix… Elle est là en bas d’une côte à marcher avec son père qui hurle en haut : « go, go ! » et la gamine fait semblant de chercher quelque chose dans son sac, cela m’a tout l’air d’être des bonbons. Les américains ont pleins de petits bonbons énergétiques. Elle semble tout sauf être heureuse d’être là… (pour info son calvaire va durer 3h14…).
L’entrée en Chine
Retour au point de départ et je repars vers la Chine sans oublier de passer avant en tout logique bien sur par la Russie. Tiens, d’ailleurs, sans mauvais jeu de mots, ça ressemble un peu aux montagnes russes cette affaire. Je commence à être un peu fatiguée mais le soleil qui a pointé le bout de son nez me permet de découvrir un paysage que je ne connaissais pas encore. Les couleurs sont superbes, l’église bleue perchée là-haut, au milieu des mousses vertes est superbe. Le lac sur la droite du chemin prend des couleurs turquoise, l’Antarctique me révèle enfin sa beauté. Et pour compléter le tableau, alors que je longe un zone très rocheuse juste à côté de la mer, j’entends avec une coureuse à 2 m devant un drôle de bruit. Mais oui nos copains pingouins sont là ! Ils se sont installés à l’abri du vent pour regarder les coureurs passés, tiens pas fous les pingouins… J’arrive en Chine et je fais demi-tour devant les responsables du point ravitaillement surprise qui ont eu le temps de me proposer une bière que j’ai, il faut l’avouer refusée. Me voilà repartie dans l’autre sens pour d’abord rejoindre le semi marathon et attraper une nouvelle bouteille d’eau au passage. C’est un des points difficiles de cette course puisque notre eau reste dehors longtemps, dans le froid et pour ceux qui sont sensibles à ce genre de chose, il vaut mieux oublier ce marathon.
J’en profite pour regarder mon chrono : 2h10. Ok, je ne vais pas battre mon record aujourd’hui ! Pourtant j’ai le sentiment que la course passe très très vite. Du coup, je décide de prendre le temps de mélanger un gel bio et nature à ma nouvelle bouteille histoire de ne pas tourner qu’à l’eau. Je sais que je n’aurais pas de ravitaillement avec du coca ou de la gatorade, je vais donc la jouer prudente. Et bien sûr, j’ai juste oublié que le miel ne se dissout que très moyennement dans l’eau glacée… Je vais donc passer plusieurs km à secouer ma bouteille dans tous les sens pour tenter de la réchauffer un peu. Et c’est là que mon lecteur me plante… Plus de musique pour m’accompagner, je vais être vraiment bien seule pour ce second semi qui s’annonce long, trop long. Le rythme n’y est plus, il faut bien le reconnaître. Je ne suis pas inquiète puisque je sais maintenant qu’au pire s’il fallait marcher tout le reste de la course je serai une finisheuse quand même mais franchement je ne suis pas là pour faire une randonnée… Du coup, j’avance comme je peux, je crois sincèrement que je cours à la même vitesse que si je marchais rapidement mais ça me donne l’impression de faire quelque chose. Et puis, il y a des petits moments de bonheur comme quand je croise Superman et que je reconnais Mark, le londonien avec qui j’ai souvent discuté. Il fallait oser courir ce marathon déguisé et il l’a fait. Il est d’ailleurs le premier «costume » du marathon de l’Antarctique ! Quand je dis costume, je parle d’un vrai, pas simplement un collier de fleurs ou quelque chose de symbolique. Je peux vous dire que sa cape flottant dans le vent glacé qui s’est levé a sacrément belle allure.
Ça m’a fait du bien de le croiser parce que la course a pris une autre tournure. En 5 minutes à peine le vent s’est levé, le temps a changé. Alors que j’avais besoin de mes lunettes de soleil pour avancer, la brume a fait son apparition plongeant le paysage dans une ambiance assez surréaliste. On m’avait dit que le temps changeait vite mais à ce point je ne pouvais quand même pas l’imaginer. Le plus gros problème à gérer, c’est la température qui chute très rapidement, la transpiration qui vous glace sur place puisque le premier semi s’est fait à une température plutôt clémente. Je remets mes gants, je remonte la fermeture de mon blouson et je me dis qu’il va bien falloir serrer les dents. Le glacier est de nouveau là après le passage très boueux, mes chaussures pèsent des tonnes mais elles évacuent plutôt bien l’eau je trouve alors que pourtant j’y vais à fond, sautant joyeusement dans les rivières glacées. Je ne veux même pas me rajouter 1 m de plus c’est dire… Je dis au revoir au glacier et je repars vers la Chine, tant bien que mal. Et là un petit miracle s’accomplit. J’aperçois au loin une forme sur le côté droit du chemin, de couleur noire et blanche et pendant 2 min je me suis vraiment dit : non ce n’est pas possible, l’organisation a posé un faux pingouin ici pour marquer de façon symbolique le mur. Mais il faut se rendre à l’évidence, c’est un vrai pingouin qui est là tranquille et qui regarde passer les coureurs. Une jeune femme qui est juste devant moi s’arrête elle aussi, sidérée de ce qu’elle voit. Car il y a un détail qui a son importance, nous sommes très loin de la mer… Qu’est-ce que ce pingouin vient faire là ? Il va jouer sa star, poser tranquillement devant nos objectifs, se mettre à courir avec les autres participants du marathon. Je peux officiellement le dire, oui j’ai couru avec les pingouins !
Mon compagnon de route !
Il faut quand même repartir parce que ce n’est pas tout ça, je ne suis pas d’ici… Je traverse la base de l’Uruguay plongée dans le brouillard alors qu’une heure avant, le lac nous offrait de splendides couleurs. Je compte les miles qui me séparent de la finish line que je dois traverser une nouvelle fois pour aller en Chine. J’ai le droit à une marseillaise claironnée par un des organisateurs, à des « allez la France » quand je croise des coureurs de mon bateau qui connaissent mon histoire, je croise des visages amis comme celui de Lisa qui est en train de gagner la course et ça me permet de m’accrocher.
Ça y est, la zone de départ est enfin là, je sais que je n’ai plus que 4 miles mais cela va vraiment être les plus longs de ma vie… Il y a un tel vent que je n’essaye même plus de faire semblant de courir dans les montées, de toute façon ça ne sert strictement à rien. Même le petit groupe de pingouins aperçus lors de mon premier passage sont rentrés au chaud chez eux. Je connais la route maintenant mais je trouve qu’elle n’en finit pas. J’avais le souvenir que la zone rocheuse était juste à côte de l’Eglise bleue, elle me parait à des années lumières. Mes lombaires ont déclaré forfait, mon pied me lance, franchement je me demande ce que je fous là à m’infliger ça. Autant le premier semi a vraiment été un plaisir, autant le deuxième devient très difficile. Enfin les chinois sont là et même s’ils me proposent encore une bière, je préfère leur dire au revoir et repartir vers l’autre sens. Je m’accroche à l’idée que 2 miles ce n’est rien, je ne regarde pas mon chrono de peur de lire des chiffres que même à mes débuts je ne connaissais pas. Dernière cote, j’aperçois la base russe et le chemin relativement plat qui la traverse. Allez zou, bouge toi un peu bon sens, tu ne vas pas finir en marchant quand même… Enfin dire que je courais serait sérieusement exagéré ! J’aperçois la finish line et même en la voyant je suis tout simplement incapable d’accélérer, c’est dire mon niveau d’épuisement. Et voilà j’y suis, je suis finisheuse ! Lisa et Patrick sont là pour m’accueillir et ça fait chaud au cœur de retrouver enfin des visages connus. Je vais me changer rapidement dans le froid pour éviter justement de rester avec des vêtements mouillés trop longtemps mais mes mains vont se geler à rester sans gants quelques minutes. Patrick sacrifie ses chaufferettes pour moi et c’est avec un bonheur infini que je vais sentir une douce chaleur se diffuser dans mes gants.
Nous attendons Dale, notre sosie de Léonardo di Caprio et Susan, la coloc de Lisa qui sont en train de finir leur premier marathon. Susan arrive rayonnante, pas du tout marquée par cette première expérience, et Dale surgit tel un zébulon et nous fait une roulade sur la ligne d’arrivée. Tout notre petit groupe finit dans les 5h, hormis nos 2 champions bien sur… Nous allons rejoindre les zodiacs sur le quad de Thom l’organisateur et ce n’est pas mécontente que je fais profiter de ma chance d’avoir fini la première des 4 filles qui partagent la même salle de bain. Après une douche bien chaude, un déjeuner parfait avec fruits frais et sauce au chocolat, je vais pouvoir réaliser que ça y est, le fameux marathon de l’Antarctique est derrière moi. La remise des médailles, conclusion d’un barbecue géant réunissant les 2 bateaux aura lieu dans 2 jours, je pourrais donc enfin admirer ma médaille (mon prix dans ma catégorie viendra par courrier quelques semaines plus tard) et déjà penser à la suivante… Tokyo j’arrive, et j’ai bien l’intention d’essayer les ravitaillements qui permettent de gagner une course à savoir les M&M !!!