Evadict, la marque trail de Décathlon, a bousculé l’univers de ce sport en plein boum récemment en recrutant une team 100% féminine, composée de 10 femmes toutes aussi extraordinaires les unes que les autres. J’ai donc voulu en savoir un peu plus sur elles mais aussi sur les personnes qui font la marque et qui conçoivent des produits que l’on retrouve un peu partout dans le monde aujourd’hui. Gaëtan Pitaval, chef produit matériels et accessoires (celui qui avec ses équipes qui conçoit nos sacs quoi !) a gentiment accepté de répondre à toutes mes questions.
Avant d’aller plus loin, de quoi t’occupes-tu réellement ?
Avec mes équipes, nous avons en charge la conception des sacs, des ceintures d’hydratation, de l’hydratation en tant que tel donc les poches à eau et les flasques mais aussi des bâtons une des nouveautés 2022 qui arrivent dans nos magasins en ce moment même.
Qu’est-ce que différencie réellement un sac de fille d’un sac de garçon ? Hormis la couleur rose évidemment ! (je taquine, le sac fille est d’un très joli turquoise !)
Avant toute chose, il est important de savoir que nous avons toujours créé des sacs mixtes en veillant à tout faire pour que nos modèles conviennent à un maximum de personnes en jouant sur une offre importante de taillants. Mais nous sommes aussi conscients que le marché féminin prenant de l’importance, il devenait indispensable d’aller encore plus loin en concevant un sac répondant vraiment à leurs attentes et surtout à leurs besoins spécifiques. Nous avons donc confié le bébé dans un premier temps à notre service Recherche et Développement pour qu’ils réalisent toute une batterie de tests morphologiques nettement plus avancés que ce que nous avions fait jusqu’à présent. Le 5 litres arrive en magasin en ce moment et si tout se passe bien (avec la crise du covid, on n’ose plus trop se prononcer sur des dates précises…) l’année prochaine, le 8 litres arrive. Evidemment je ne t’apprends rien, la principale difficulté c’est la gestion de la poitrine avec la question du positionnement des flasques. C’est évident mais important de le rappeler, cela change totalement en fonction du bonnet de la traileuse. Il fallait donc réfléchir à une solution qui s’adapte à toutes les morphologies des poitrines féminines, autant à celles qui justement n’en ont pas qu’à celles qui en ont. L’idée que l’on creuse est simple en réalité : tout faire pour contourner la poitrine mais ça demande un peu d’ingéniosité. Maintien, stabilité… Tout est travaillé et étudié évidemment. Assez paradoxalement, pour la team Elite, c’est presque l’inverse qui se passe parce qu’elles ont toutes une morphologie plutôt fine, nous travaillons donc sur une adaptation du gilet mixte pour qu’elles n’aient surtout aucune gêne, aucun frottement avec un serrage ultra précis.
Aujourd’hui il y a donc un 5 litres déjà en magasin, vous annoncez un 8 litres, où en êtes-vous exactement dans ce projet ?
Nous voulions que les femmes ne soient pas limitées et faire passer le message aussi indirectement qu’elles peuvent aussi aller sur l’ultra, autant que les hommes. Aujourd’hui nous en sommes à l’étape du « monstre », c’est comme ça que dans notre métier on appelle les prototypes. Nous commençons déjà par cette première phase où chaque monstre est testé, corrigé, jusqu’à ce que l’on s’approche du résultat final escompté. C’est là que commence la vraie première phase de test terrain avec une douzaine de testeuses évidemment choisies pour représenter un panel le plus complet possible pour les morphologies. Souvent on essaie de doubler l’échantillon représentatif pour être encore plus sûr de nous. Nous avons la chance d’avoir un panel de 7000 testeurs dont 25% de femmes, des personnes qui se sont portées volontaires pour nous aider à faire avancer nos produits. Nous avons une plateforme de « co création » (le lien est ici) où s’inscrivent tous ceux qui veulent participer à notre aventure. Ils remplissent une fiche assez complète pour que l’on référencie leur profil et en fonction de la région où nous allons faire le test terrain, nous les contactons. Les derniers tests que nous avons réalisé loin de notre siège à Lille étaient sur la Montagne Sainte Victoire et nous avons fait appel à une cinquantaine de personnes qui sont venues tester des sacs, des chaussures… Nous essayons de mixer les régions, les profils pour un maximum de retours constructifs.





Quel est le délai entre l’idée et la mise en rayon ?
Il faut compter entre 18 et 24 mois pour vraiment développer un produit qui existe déjà dans nos rayons. Mais si on prend les bâtons par exemple qui arrivent cette année, le processus a été beaucoup plus long parce qu’il a fallu créer totalement nos modèles en gérant les histoires de brevets. On le sait peu dans le grand public mais aujourd’hui beaucoup de choses sont protégées par ces fameux brevets et il faut donc parfois « inventer » totalement une matière ou un procédé pour que, à notre tour, nous puissions déposer notre propre brevet. Forcément tout cela rajoute des mois au processus de création.
Il y a des modèles où la mixité vous pose plus de problème que d’autres ?
L’histoire des taillants, ce n’est pas nouveau chez nous puisque que Quechua, notre marque outdoor avait commencé à adapter ses sacs de randonnée en fonction des morphologies. Donc pour nos sacs, on peut dire que l’adaptation était déjà dans notre ADN. Mais pour les ceintures c’est clairement plus compliqué. Les hommes ont tendance à serrer en force sur leur bassin, ce que ne pourront pas faire les femmes. C’est donc un vrai sujet de réflexion qui nous a bien occupé ! L’idée était vraiment de créer un système de serrage qui réponde aux attentes des hommes comme des femmes. La petite nouvelle arrive au printemps en magasin et nous avons hâte de connaître les retours de nos clientes dont certaines s’étaient plaintes du précédent modèle qui bougeait parfois un peu trop.
Vos idées de nouveautés vous les trouvez où exactement ? Le matin en vous rasant ? A la machine à café ou en dehors du bureau sur les chemins ?
C’est là que la plateforme de co-création prend aussi tout son sens parce que nous ne leur demandons pas uniquement leur avis sur des produits créés mais aussi sur ce qu’ils voudraient voir arriver en magasin. Et il faut bien reconnaître qu’ils sont super impliqués avec un taux de participation et de retour hallucinant pour nous ! J’ai un exemple précis en tête d’ailleurs. J’avais besoin de retours sur les attentes des traileurs concernant les poches à eau, j’ai envoyé mon questionnaire un mardi, le jeudi j’avais déjà plus de 600 réponses ! C’est énorme ! Pour des chaussettes, on a eu plus de 900 réponses. La communauté est vraiment super active et très impliquée, ce qui est une chance folle pour nous.





Bon maintenant parlons des choses qui fâchent ? Le made in France chez Evadict et plus généralement chez Décathlon c’est pour demain ou ce n’est absolument pas une piste de réflexion chez vous ?
Le plus dingue, c’est que le made in France existe déjà chez nous puisque toutes nos poches à eau et nos flasques le sont déjà. Elles sont fabriquées à Chalon sur Saone. C’est plus facile parce que le processus est entièrement automatisé. Le souci, on le sait tous c’est le coût de la main d’œuvre… qui fait exploser la facture finale. Il y a aussi le souci de la quantité à produire puisque nous sommes un groupe mondial présent dans presque tous les pays du monde. Maintenant nous pourrions raisonner « petite collection capsule » vendue plus chère en France mais le souci c’est que nos clients d’un côté nous disent qu’ils veulent une production locale tout en refusant d’en payer le prix… Les gens veulent bien mettre plus de 100€ pour une grosse marque qui fait tout un processus de marketing et de communication pour cela mais ils ne sont pas prêts à le faire pour un sac Evadict, quelque soit la qualité de celui-ci d’ailleurs. Là on est clairement uniquement sur l’image… pas sur des critères objectifs de qualité ou de réponses aux besoins.
Autre point intéressant, lorsque nous avons lancé des enquêtes d’opinion justement auprès de nos clients, l’argument environnemental n’arrive finalement qu’en 7ème position ! Très loin derrière le prix, les fonctions, la technicité. Il y a donc vraiment la théorie et la pratique qui sont encore bien éloignées malgré ce que les réseaux sociaux peuvent faire penser. Maintenant évidemment la crise du Covid a clairement rebattu les cartes, sans parler de la guerre actuelle qui bouleverse aussi nos métiers. Le groupe est de toute façon en train de réfléchir à un rapprochement de la production que ce soit en Europe ou en Tunisie par exemple.
Mais ce n’est pas aussi un peu de votre faute ? Depuis le début, en ne vous associant pas aux élites et en privilégiant le côté « premier prix » vous avez dévalorisé finalement vos produits non ? Parce que finalement les gens sont bien prêts à payer plus de 100€ le sac de leur champion préféré qui est made in Asia non ?
C’est tout l’enjeu du marketing et c’est bien ce qu’on est en train de commencer à faire. La Team Evadict en est la preuve, Artengo a surpris tout le landerneau du tennis mondial en recrutant Gaël Monfis, Kiprun se positionne clairement dans un objectif olympique à l’horizon 2024 avec le recrutement entre autres de Yoann Kowal.
Maintenant j’avoue que ce qui me fait plaisir c’est que chaque année, lorsque je vais faire du comptage sur les gros événements trail comme l’UTMB pour ne pas le citer, j’ai plaisir à voir nos sacs, nos chaussures sur de plus en plus de traileurs, preuve s’il en est que nous avons aussi vraiment gagné en image de marque. Quand on connait l’engagement temps et financier d’une telle course, personne de raisonnable n’aurait l’idée de prendre le moindre risque en partant avec un produit dans lequel il n’a pas entièrement confiance.




Bon à défaut de ne pas pouvoir produire tout de suite chez nous, vous faites quelque chose pour que vos produits soient déjà un peu plus « écolo » dans leur conception même ?
C’est déjà en cours puisque nous avons une charte au sein de l’entreprise avec un objectif à 2026, autant dire demain ! Nous avons une obligation de baisser notre note environnementale de 30 à 40%. Matériaux éco conçus, recyclage, teintures conçues pour limiter leur impact sur l’environnement, tout ça est déjà en place et ce qui est un peu dommage c’est que justement nos clients souvent l’ignorent parce que ces infos ne sont pas mises en avant par la marque. Le principe pour nous est assez simple : il est tout bonnement impossible de sortir aujourd’hui un produit plus polluant que celui qui est déjà en rayon. On doit tout faire dès la conception pour que le petit nouveau soit nettement plus éco responsable que le précédent. Autre piste explorée, tout le service de SAV qui permet normalement de faire réparer son sac avec aussi des petits tutos publiés sur nos sites pour apprendre à nos clients à le faire eux-mêmes. La durabilité est autant une base de réflexion que le rapatriement de nos lieux de production. Bref tout ça pour dire qu’Evadict comme les autres marques du groupe avancent dans le bon sens et que ce n’est pas prêt de s’arrêter !
La page d’Evadict sur le site Décathlon est ici et leur insta là.
PS : pour info j’ai inclus les liens vers les produits évoqués pour que vous puissiez voir directement sur le site de quoi on parle exactement 😉, il suffit de cliquer !
