Oman by UTMB® : We will Roc you !

Par où commencer… Si vous vous attendez à un récit larmoyant sur mon dernier plantage, vous risquez d’être déçu ! Oui je suis venue, oui j’ai vu et oui Oman by l’UTMB® m’a vaincu mais franchement je l’ai très bien vécu.

Lorsque j’ai vu l’apparition de cette nouvelle course dans le calendrier, sincèrement de vous à moi, le fait qu’il y ait écrit « UTMB® » n’a absolument pas été un facteur déterminant dans mon envie de m’inscrire immédiatement. Evidemment, cela rassure toujours un peu de savoir qu’une des organisations les plus au point question course de montagne était derrière, comme ce fut le cas pour ma Maxi Race en Chine mais vraiment moi tout ce que j’ai vu en premier c’est Oman ! J’ai eu la chance de déjà venir y courir une fois, dans le désert, une course que j’avais vraiment adorée (d’ailleurs je vous remets le lien vers mon récit ici) et je rêvais de venir voir la partie montagneuse dont on m’avait parlé avec des étoiles dans les yeux. Et puis j’avais adoré les omanais, même si je n’avais passé que quelques jours parmi eux. D’ailleurs je me suis fendue d’un petit article à paraître prochainement pour essayer de faire tomber les a priori que l’on a sur ce pays parce que vraiment il faut arrêter de le confondre avec leurs proches voisins.

En attendant, alors que j’étais en mode « financement » et début d’entraînements spécifiques pour ma course, remontaient des infos de plus en plus inquiétantes… Le parcours était annoncé comme réellement technique mais j’avoue que je ne voyais pas vraiment à ce moment là ce qu’on entendait comme technique. Et puis oui, j’avoue, j’ai considéré que si j’avais été capable de finir deux fois le 80 de l’Ultra Fjord que même Xavier Thevenard et Benoit Girondel trouvaient technique, j’allais bien pouvoir m’en sortir. J’ai eu aussi des expériences de déserts rocailleux dans ma courte carrière de traileuse d’opérette, sincèrement à ce moment-là, je ne pensais pas qu’on pouvait trouver pire. Eh bien je me trompais ! 😊

Je ne suis pas le genre qui partage ses entraînements sur strava, je n’ai même pas de compte là-dessus mais ne vous imaginez pas une seule seconde que je me sois pointée là-bas en mode relax en ayant juste fait une sortie d’une heure et la Parisienne en training. J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais même si ce n’est pas toujours simple de tout gérer, j’ai repris l’entrainement en club, repris les séances de fractionnés en côte à mesure que le stress montait et que Michel Poletti communiquait sur la dureté du parcours. Je me rassurais en me disant qu’il parlait aussi de son incroyable beauté et que cela allait forcément me porter. Seulement quand tu ne vis pas en montagne à deux pas d’un km vertical ou sur le parcours du GR20, qu’on le veuille ou non, tu pars forcément avec un handicap.

Les dés sont jetés, je suis à Roissy. J’ai en tête tous les conseils de Seb Chaigneau, prodigués pendant la Maxi Night à ses côtés même si depuis ce jour-là, je suis vraiment en mode panique. Voir Seb en action pendant 6h a remis sérieusement l’église au milieu du village. De toute façon plus moyen de reculer, j’embarque dans mon vol Oman Air avec la chance inouïe d’avoir deux fauteuils pour moi parce que la gentille dame à l’enregistrement avec laquelle j’ai échangé quelques mots au sujet du but de ma balade m’a dit : « oh mais c’est dingue ce que vous allez faire là, il vous faut un maximum de confort pour votre vol de nuit, attendez, je vous bloque le fauteuil voisin, le vol n’est pas plein, vous serez tranquille comme ça ». J’y pense, je vais vous faire également prochainement un article dédié à la logistique autour de cette course, si jamais elle vous tente l’année prochaine, pour que vous ayez un maximum d’infos pour éviter des galères ou les mauvaises surprises comme certaines vécues par mes compatriotes.

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Race Pack 

Tout le monde le sait, je suis journaliste, j’ai donc la chance d’avoir été accueillie comme telle sur place au sein d’une petite équipe venant du monde entier. Première surprise : la très grande majorité de mes collègues sont quasi tous engagés sur la course et loin d’être des débutants en la matière puisque je vais même avoir l’honneur de partager ma chambre à la veille de la course avec la grande Meghan Hicks qui a quand même une première place au Marathon des Sables à son actif entre autres pour n’en citer qu’une parmi tant d’autres. Nous rejoignons les élites qui vont confirmer ce que j’ai souvent constaté : les champions d’ultra trail quelque soit le pays d’origine sont quand même vraiment des personnes ultra sympas ! Nous avons profité de quelques jours à Muscat pour faire du tourisme, nous allons même avoir la chance d’aller plonger avec les tortues au large de la ville, ce qui restera un de mes plus beaux souvenirs de mon séjour.

Transfert sur zone le jour même de la course pour récupérer notre dossard. Je retrouve le même système que le contrôle du matériel obligatoire propre à l’UTMB®. On a même les grandes boites en plastique ! Quelques bénévoles de la team Chamonix sont d’ailleurs là pour donner un coup de main aux bénévoles locaux qui sont absolument adorables comme toujours. Ça se passe très bien, pour une fois je n’ai rien oublié, j’ai même fait preuve de grand sérieux en embarquant non pas deux lampes frontales comme demandé mais trois avec ma petite Bindi de Petzl qui ne pèse rien mais qui peut se révéler très pratique pour finir la nuit. J’avais fait des achats de dernière minute, m’affolant un peu sur la durée de la balade et ayant peur de ne pas finalement trouver ce qui était annoncé sur les ravitaillements. Briefing de course et là, c’est la douche froide…

On nous parle de pastilles rouges qu’il faut absolument respecter parce que sinon c’est la chute dans un précipice de plusieurs centaines de mètres, de passages où nous serons encordés pour notre sécurité et j’en passe… Ah ouais quand même… Heureusement j’ai retrouvé mon ami Sébastien de la Traversée de Verbier. Ce qui est totalement dingue c’est qu’il ne savait pas que je venais. C’est sa fille qui lui a offert le dossard ! Il n’a découvert mon nom que quelques jours avant la course elle-même. Je suis en tout cas ravie de les revoir Annie et lui et nous nous donnons rendez-vous dans quelques heures sur la ligne de départ. J’avoue que le côté départ nocturne à 19h30 me gave un peu… J’ai horreur de ça. J’imagine qu’il y a des explications mais un départ matinal m’aurait plus convenu, quoique finalement avec le recul, attaquer avec la chaleur, c’est aussi un truc qui te fait prendre de gros risques. Bref pour résumer jamais contente la fille ! 😊

Je rentre à mon hôtel pour préparer mon sac intermédiaire, bien décidée à mettre toutes les chances de mon côté. Chargeur de batterie supplémentaire hyper puissant pour compléter celui que je trimbale déjà dans mon sac, nourriture, tenue propre et même brosse à dent ! Je suis sensée selon mon plan de route le récupérer après une nuit et une journée dehors. J’ai bien l’intention de repartir de la base de vie toute propre pour attaquer la deuxième nuit dans les meilleures conditions possibles. A ce moment-là, j’y crois encore ! Départ sur la ligne de départ avec une ambiance surréaliste. Les locaux se mêlent aux coureurs, nous avons le droit aux danses et chants traditionnels, ah c’est sur qu’on est très loin de Vangelis mais ce n’est vraiment pas pour me déplaire, croyez-moi ! Je retrouve sur place, à ma grande surprise, pleins de coureurs que j’ai pu croiser de par le monde, que ce soit à Abu Dhabi (j’ai même Thibault qui fut mon compagnon de route sur la première édition du Liwa), en Egypte, à Hawaï ou même en Antarctique ! (Ali mon héros, tu peux être fier de ce que tu as accompli à Oman crois-moi !). Et bien sûr je retrouve Sébastien avec lequel je décide de partir sans trop me poser de questions. Nous nous connaissons et nous savons déjà que nous avons un peu le même rythme. Et puis nous avons des trucs en retard à nous dire, quoique finalement la plus grande nouvelle tombera le lendemain de la course !

Nous savons que le premier tronçon est, allez n’ayons pas peur des mots, plat et sans grand intérêt, hormis celui de bien étaler le peloton pour qu’à aucun moment lorsque les premières difficultés arriveront, on subisse les bouchons. Aucun doute, c’est bien ce qui s’est passé, seulement ça nous a aussi permis de réaliser à quel point les BH allaient être un sacré facteur de stress. Surtout que mon GPS part déjà en vrille complet… Je retrouve Sébastien qui m’attend au premier CP, nous nous étions perdus n’arrivant pas à suivre son rythme. Je recharge en eau et je lui emboîte le pas. Et commence le bordel… Le dénivelé est encore hyper raisonnable mais le terrain commence à sérieusement ressembler à ce que l’on va avoir pendant des kilomètres et des kilomètres : de la rocaille de toute sorte et instable. Ce n’est pas encore le désert au sens strict du terme et nous avons même le droit à des petites traversées de rivières glissantes à souhait. J’avais déjà des doutes mais là ça se confirme, je n’ai pas fait le bon choix de chaussures. Attention n’allez pas croire que je mette mon échec là-dessus, ce n’est absolument pas le cas, mais un meilleur grip n’aurait pas fait de mal, c’est certain.

Même si nous sommes partis ensemble, nous ne restons pas collés l’un à l’autre, ce que j’apprécie vraiment. On respecte chacun notre rythme et je sais que logiquement lorsqu’on commencera à monter, c’est moi qui reprendrais surement le dessus comme ce fut le cas à Verbier par moment (enfin avant que je vomisse partout dans la montagne évidemment 😊). Je veille à boire correctement, à m’alimenter correctement, pour que Seb soit content de son élève, mais déjà dans ma tête, je commence à me dire que si on a un terrain pareil pendant toute la course, et qu’on continue à cette vitesse-là, je ne vois pas comment nous allons pouvoir passer les BH. CP2 ravitaillement en eau, rapide calcul du temps qui nous reste pour aller chercher la première barrière et c’est reparti. Sur le papier, nous sommes partis à 19h30, la première est à 0h45, nous avons 25.6km à parcourir pour la rejoindre et pourtant ça va se révéler hyper compliqué. Ça vous donne quand même une idée du bordel ! Sébastien commence en plus à présenter des soucis de santé qui m’inquiète. Certes il y a des douleurs physiques d’une blessure récurrente qu’il a traité mais qui semble moyennement apprécier les chemins omanais (enfin chemins… C’est vite dit !) mais surtout son rythme cardiaque n’est pas stable et ça pour le coup ça m’inquiète vraiment.

Que les choses soient très claires entre nous, l’organisation que nous avons eu sur place est réellement d’un excellent niveau, surtout pour une première édition dans un pays qui n’a pas du tout la culture du trail et encore moins de l’ultra trail. Mais en cas de souci médical tel qu’un malaise cardiaque, sincèrement le temps qu’on arrive à prévenir les secours si tant est qu’on capte le réseau dans une gorge perdue au milieu de l’immensité de rocaille, prendre un tel risque serait totalement inconsidéré. Je refuse donc totalement d’insister et de l’encourager à tout prix à continuer lorsqu’il commence à me parler de s’arrêter à la prochaine barrière. Je me doute bien qu’il n’a pas fait tout ce chemin pour abandonner aussi vite mais aucune course au monde ne mérite qu’on y laisse sa peau. Kilomètre après kilomètre, nous progressons dans une montée qui nous donne déjà un aperçu relativement violent de ce que va être le reste du parcours et enfin nous arrivons en haut de ce qui ne doit être qu’une descente facile vers le ravitaillement.

A la poursuite de la marque verte… 

Sébastien n’est toujours pas mieux, sa décision semble irréversible et même si cela me désole totalement, je ne peux que le soutenir. Tout d’un coup il me dit : « nan mais attends Cécile, là il faut que tu fonces parce que si tu restes à mes côtés tu vas la rater aussi la BH ». Mince alors, j’avais totalement perdue le fil et surtout la notion du temps. Je file alors sans demander mon reste et j’arrive dans les temps mais là encore, j’ai eu chaud aux fesses. J’en profite pour boire une petite soupe (oui je sais je suis joueuse !), remplir mes flasques et Seb arrive enfin. Je lui redemande s’il est bien toujours décidé à arrêter là et pas de doute sa décision est prise. Et aucun doute c’était la bonne parce que lorsqu’on a sa fille qui va chanter en 2019 à l’Olympia pour la première fois, la raison doit toujours l’emporter 😊. Alors que j’attrape mes bâtons pour repartir, j’entends une voix qui me dit « ben tu étais derrière moi ? Je vous pensais devant et repartis depuis longtemps ». Baudouin que j’ai connu dans le désert du Liwa est là, et sans vouloir le vexer, je suis tout aussi surprise que lui parce qu’il est parti derrière nous et qu’à aucun moment je ne l’ai vu nous doubler.

Pas bien grave, nous repartons tous les deux même si j’avoue que j’appréhende un peu. Nous nous connaissons c’est une chose mais il avait été suffisamment clair au dernier CP de mon 100km dans le désert avec son « j’ai horreur d’avoir quelqu’un à mes côtés pendant une course, si je fais ces trucs-là, c’est pour avoir la paix ». Comme coéquipier j’ai connu plus motivant ! En attendant il a une expérience de dingue d’ultras à la con genre 333, 666 ou 400K dans le désert de Gobi, marcher longtemps et régulièrement, il sait faire et donc ça « devrait le faire ». De toute façon le terrain est impossible à courir pour moi, donc le problème est réglé et j’avoue que pour la première fois de ma vie, je déteste le fait de ne pas réussir à courir justement. Je sais que cela peut paraître paradoxale parce qu’évidemment on est toujours sensé courir mais sur nos ultras, nous savons tous que la marche, rapide ou pas, reste le principal moyen d’avancer après un certain temps. D’habitude, j’adore ces moments où je me perds dans mes pensées au fil de mes pas, mais là je ne sais pas pourquoi, je n’y arrive pas. Enfin si je sais pourquoi… Le terrain est trop hostile pour permettre à son esprit de vagabonder même quelques minutes parce que sinon c’est la gamelle annoncée. Même manger c’est compliqué !

Je me retrouve là, à pester contre moi-même d’être tout bonnement incapable d’aller plus vite puisque je ne sais tout bonnement pas poser mes pieds sur toute cette roche qui ne cherche qu’une chose : me déstabiliser… Et ça je peux vous dire qu’elle y arrive très bien. Alors que nous approchons du prochain ravitaillement, je finis par apercevoir les lumières là, juste en face, sur la montagne d’en face. C’est une blague ? On aperçoit un escalier qui y mène mais pour l’atteindre, il va falloir d’abord plonger vers le fond pour pouvoir ensuite remonter à la surface. Végétation, cailloux, tout semble avoir été judicieusement posé là pour nous pourrir la vie. Les minutes s’écoulent, pour une fois trop rapidement. Le tic-tac de la barrière horaire se fait de plus en plus sonore dans ma tête. Enfin l’obscurité du fond du gouffre est là, il ne reste plus qu’à regrimper vers la lumière qui nous attire tous comme des moustiques un soir trop chaud d’été. Une voix nous guide, nous encourage… Enfin j’y suis, la voix a enfin un visage, celui d’une femme souriante qui me félicite et « bipe » mon dossard. Une de plus… Je me précipite vers le ravitaillement, je dégaine mon gobelet le plus rapidement que je peux, je le tends vers le gentil bénévole pour avoir ma rasade de coca, j’en ai fichtrement besoin ! Alors que je vais m’installer dans un petit coin pour me poser quelques instants, très vite je comprends que je ne suis pas bien, que ça recommence comme à Verbier. Nausées de plus en plus violentes très vite incontrôlables… Je file derrière une maison pour vomir. Ce n’est pas possible, le cauchemar ne va quand même pas recommencer !

Continuer sur ce terrain, sans pouvoir boire et manger, ce n’est même pas la peine de rêver, c’est le crash en flamme assurée. Baudouin vient prendre de mes nouvelles, je lui dis juste que je vais essayer de boire autre chose, sait-on jamais. Et puisque je suis vraiment une joueuse devant l’éternelle, je retourne au ravitaillement me faire servir un peu de soupe 😊. Oui je sais… Mais nous ne sommes pas à Soucieux non ? Hors de question d’attendre de voir si elle me tient au ventre, nous devons déjà repartir. Je parie sur le fait que puisque nous ne faisons que marcher, mon estomac fragilisé ne sera pas trop secoué. Je sais aussi que si je suis dans la même configuration qu’en juillet dernier, ça ne durera pas longtemps alors j’attends… Je focalise mon esprit sur deux choses vitales : la sûreté de mes pas et le bon fonctionnement de mon estomac.

Minute après minute, force est de constater que les nausées sont passées, que j’arrive même à me nourrir un peu de nouveau même si je me contente de petits morceaux de pâte d’amande pour le moment. Je peux boire par petite quantité, la forme reviendrait presque, je suis sauvée ! Nous sommes face à un parcours que l’on pourrait qualifier de quasiment roulant. On nous annonce 6 km, tous ceux qui sont allés jusque là semblent unanimes pour dire que ce furent les 6 km les plus longs du monde ! Le prochain ravitaillement ne sera qu’un point d’eau, sans barrière mais le tic-tac de la suivante se fait toujours entendre de plus en plus fort. Sincèrement je ne sais pas quoi faire, ce bruit assourdissant dans ma tête gâche tout. Alors que j’envisage de m’arrêter au point d’eau, Baudouin me dit qu’on ne doit pas lâcher, que c’est jouable et il n’a pas tort, c’est en effet jouable en forçant un peu mais je n’ai plus la flamme. Dans ma tête j’ai déjà décroché mon dossard, je sais déjà que je ne finirais pas, même dernière, même en rampant, j’ai renoncé et je suis en paix avec ma décision.

Nous repartons quand même puisque je pars du principe que les CP avec ravitaillement solide sont souvent plus propices à l’abandon pour des questions de logistique. Nous avons rangé nos frontales enfin, Baudouin part devant, je lui emboîte le pas et j’essaye pendant un moment de tenir la cadence. De nouveau le programme annoncé est d’une simplicité confondante : plonger pour mieux remonter sur la montagne qui nous fait face. Après quelques minutes, je regarde autour de moi et la beauté du moment, la majesté de ce qui nous entoure me coupe le souffle. Mais sérieux, qu’est-ce que je suis en train de faire là exactement ? Je suis en train de passer à côté d’un lever de soleil au-dessus d’une mer de nuages, avec en fond d’écran ce qui ressemble à s’y méprendre au Grand Canyon pour une barrière horaire ? Je m’arrête, sors mon appareil photo pour immortaliser ce moment, pour immortaliser l’instant où j’ai symboliquement décroché le dossard de mon objectif principal de l’année. Baudouin est déjà loin, je ne lui ai même pas dit que j’arrêtais, il file, et de toute façon je préfère être seule moi aussi.

Je repars tranquillement en mode rando photo. J’observe tout autour de moi, je me laisse porter par le violon de Renaud Capuçon qui me semblait la meilleure bande son pour vivre ce moment pleinement. Je prends mon temps, j’assure chaque pas, je ne regarde plus ma montre. Je ne suis plus une coureuse, je suis redevenue une voyageuse qui aime par-dessus tout découvrir des paysages qui semblent avoir été créés par une main divine tellement leur perfection est irréelle. Alors que mon esprit vagabonde enfin librement, un homme me rejoint. Il perturbe ma plénitude avec ce que je pense être au début son téléphone. Sur le moment je peste et manque de lui crier dessus. Sérieusement tu es vraiment en train de téléphoner à quelqu’un là en pleine montagne avec le haut-parleur branché ? Il finit par me rattraper et me demande si je pense être la dernière. Je lui réponds juste que je n’en ai aucune idée, que logiquement deux coureurs japonais m’ont emboîté le pas au minimum. Il est libanais, parle un peu français et est en réalité un coureur qui après avoir abandonné est devenu para médic pour l’organisation. Il rejoint donc le CP suivant en vérifiant que tout va bien pour les derniers dont je fais apparemment partie et s’excuse du bruit : il n’est pas en train de téléphoner mais tout simplement en train de suivre les échanges du staff sur son talkie-walkie. Il est immédiatement pardonné, surtout que, conscient sans doute du caractère perturbant du son, il veillera très vite à se tenir à distance, comme pour me laisser en paix avec moi-même.

Un plateau, tout aussi rocailleux et instable que les autres avec des cailloux empilés qui semblent nous indiquer notre chemin. A droite des pastilles vertes, à gauche des rouges… Je me rappelle alors le briefing de sécurité où l’on avait évoqué ces foutues pastilles en insistant bien sur le fait qu’il ne fallait jamais mais alors jamais s’en rapprocher. Je comprends immédiatement pourquoi, juste à côté, c’est tout bonnement le vide. Heureusement moi je suis en plein jour donc aucun risque mais je me mets à la place de ceux qui sont passés la nuit. J’en suis presque super contente d’être aussi nulle pour ne pas avoir eu à traverser ça à la lueur de ma frontale !

A droite l’hôtel Alila qui était la base de vie de la course ! 

Encore un peu de dénivelé positif histoire de bien nous achever, j’aperçois le ravitaillement au loin. C’est fou quand même ce vice de toujours les foutre là-haut, bien perchés pour qu’on les voit mais que l’on ait toujours cette douloureuse impression qu’il recule au fur et à mesure que nous avançons… Vous voyez forcément de quoi je parle ! Enfin j’arrive, enfin je décroche officiellement mon dossard. Les bénévoles sur place sont comme tous les autres, absolument adorables avec moi. Le « médic » vient voir si je n’ai besoin de rien, les coureurs déjà présents me font une petite place à l’ombre, la chaleur étant déjà écrasante à 8h du matin. La plupart de ceux qui sont là sont britanniques et je râle en leur disant qu’ils auraient pu avoir une flasque de whisky sur eux pour égailler un peu mon coca. Un des bénévoles m’entend et vient vers moi en me disant : « mais on a des chips qui déchirent ». Eh bien allons-y pour le petit déj coca chips pimentées, au point où on en est.

Je n’étais finalement pas la dernière, plusieurs coureurs arrivent derrière moi et s’installent pour comme nous tous attendre les 4×4 qui vont nous rapatrier à nos hôtels respectifs. Lorsque je demande autour de moi les raisons de leur abandon, c’est toujours le même discours : « c’est trop dur ». Même les deux vainqueurs qui sont loin d’être des débutants dans le monde du trail et qui ont surtout fait des podiums sur des courses parmi les plus légendaires de cet univers sont tous les deux unanimes pour dire que ce fut là leur course la plus hard de toute leur carrière. Et quand je sais que je n’ai pas vu la deuxième partie qui s’annonçait comme celle où commençaient les réelles difficultés, je peux vous dire que je suis sacrément heureuse d’avoir rangé pris cette décision.

Voilà c’est fini, je suis rentrée à mon hôtel. Meghan ma colloc est forcément toujours en route, je l’attends en surveillant sa progression sur live trail. Je vois la plupart de mes connaissances abandonner les uns après les autres, soit pris par la BH, soit par décision perso. Pas de mac do en vue mais un improbable fast-food omanais juste à côté de mon hôtel où je referais le monde avec quatre coureurs du Qatar à parler Mont Blanc ou TDS devant une part de frites offerte par le patron qui voulait me remonter le moral. Je sais déjà que je vais revenir mais pas pour le long c’est certain, l’organisation parle déjà d’un format plus court et j’en rêve déjà !

Moralité de cette histoire : je crois que c’est la première fois que je vis aussi facilement un abandon puisque même si théoriquement c’est la BH qui m’a arrêtée, j’ai tout fait pour que ça arrive. Cela faisait longtemps que j’y pensais, que je savais qu’il fallait que je me décide enfin à accepter la réalité, je n’ai pas de niveau technique en trail montagne et cela pose un réel problème. J’ai eu la chance de la débutante pour mon premier marathon du Mont Blanc : conditions météo parfaites, à l’époque un niveau sur route plutôt correct et un chrono dont je n’ai pas à avoir honte à l’arrivée… J’ai cru que je pouvais continuer comme ça sans me remettre en question. Mes facilités ou tout du moins mes prédispositions dans les courses de désert où je supporte très facilement les hautes chaleurs m’ont conforté dans cette fausse idée, mais voilà j’ai juste oublié que le trail, la technique surtout, ça s’apprend et se travaille longtemps avant de pouvoir réellement porter ses fruits. Sur des classiques chemins de rando avec des barrières horaires pas trop agressives, je passe mais dès que ça se corse, c’est l’échec assuré. La balade avec Seb Chaigneau m’a réellement fait comprendre qu’il fallait que je reprenne enfin les bases, c’est maintenant indispensable avant tout pour retrouver le plaisir de courir. 2019 sera donc l’année où je vais me concentrer sur des petites distances et s’il faut que je continue en 2020, eh bien je continuerai en 2020 ! On verra alors à ce moment-là si j’ai le niveau ou même l’envie de retourner sur ultra en montagne 😊

Crédit photos : Oman By UTMB® – Oman Sail – Franck Oddoux – Alila Hotel