Récit : tout ça pour une licorne !

Et quand j’y pense aujourd’hui que je suis rentrée chez moi avec ma médaille, qui finalement ira rejoindre les autres, accrochée à un radiateur quelque part dans la maison ou en vrac dans un tiroir, je me demande bien pourquoi je fais des trucs pareils… Et pourtant comment ai-je pu envisager de finir ma « carrière » marathon (j’adore utiliser ce mot, ça fait pro !) sans décrocher celle-là ? Alors que j’ai passé des heures derrière un clavier pour vous donner envie, la force, le courage de vous lancer dans la réalisation de vos rêves, j’allais refermer une page importante de mon existence sans réaliser le mien. Voilà c’est fait, j’ai fini Boston, le rideau peut enfin se baisser.

Petit retour en arrière comme toujours avec moi, histoire de planter le décor. Evidemment lorsque je me suis lancée sur la distance reine qu’est le marathon, j’ai immédiatement entendu parler de Boston et mon film sur la course à pied préféré reste Ralph et pas les Chariots de feu. J’ai surtout entendu parler de la relation particulière que cette course entretenait avec les femmes. Les fameuses images de Kathrine ont fait et continuent de faire le tour du monde. En accro à l’histoire, j’ai aussi vite découvert que Bobbi Gibb avait eu la même idée mais un an avant et qu’elle avait juste manqué de malchance pour son ¼ d’heure de gloire, les photographes officiels de la course n’ayant pas été à côté d’elle au bon moment. L’organisation lui rendu ce qui lui appartenait et là-bas, c’est bien elle qui est considérée comme la première femme à avoir couru le marathon de Boston. Je découvre aussi dans la foulée qu’il faut avoir un temps qualificatif pour prétendre prendre le départ (du moins je le pensais à l’époque, n’ayant pas poussé plus loin mes recherches et me contentant à tort de ce qu’on me racontait). Pour ma tranche d’âge, il me faut décrocher un chrono inférieur à 3h45, chrono que j’arrive à valider à Paris lors d’un marathon mémorable que j’ai géré comme j’ai pu avec le soutien d’amis présents du début à la fin du parcours pour me donner le rythme et décrocher le graal. Mais la vie réserve souvent pas mal de surprise et moi, ce fut la possibilité d’aller l’année suivante courir mon premier marathon des Sables. Pas de Boston finalement et l’amour du désert me bouleverse, me faisant oublier un temps cet objectif. Les années passent, les dunes s’enchaînent, les chronos ralentissent inexorablement, rendant la qualification impossible. Et puis mon dos et ses problèmes reviennent au galop me prenant j’avoue un peu par surprise. Je me suis crue toutes ces années, plus forte que je l’étais en réalité. Sincèrement ? J’ai vraiment cru que plus jamais je n’aurai mal, que j’avais gagné ce combat. On m’avait dit que c’était impossible mais après tout, courir un marathon était aussi impossible alors pourquoi ne pas réussir ça aussi ?

 

Il m’a fallu pourtant rendre les armes l’année dernière où j’avais enchaîné les contre-performances, ce que ça je suis tout à fait capable d’encaisser puisque,après tout j’allais tout de même chercher ce foutu bout de métal mais je l’ai toujours dit, quand la colonne des moins écrase la colonne des plus, il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. New York avait été celui pour lequel tout avait commencé, il serait en toute logique le dernier, tant pis pour Boston… Mais la vie réserve parfois des surprises incroyables : alors que j’échange régulièrement avec leur service de presse pour des questions de photos, je me lance et conclus ce qui aurait dû être mon dernier mail d’un « vous avez des dossards presse sinon ? » et 20 minutes après la réponse tombe : « oui bien sûr, donnez-moi votre adresse postale ». Nous sommes début mars, je reprends à peine après mon dernier ultra dans le désert et sincèrement pendant plusieurs jours, tant que les papiers ne seront pas arrivés à la maison, j’ai cru qu’il parlait de 2017 ! Là, panique à bord… Il faut annoncer à la maison que finalement NY n’était le dernier et qu’il y aura finalement Boston, marathon qu’il faut donc financer alors que ce n’était pas du tout prévu. A ma très grande surprise, mon homme m’annonce qu’il vient avec moi, surement conscient qu’il va me falloir un support moral à la hauteur de ce défi, parce que là vraiment pour moi, ça s’annonce être un vrai défi. Je reprends l’entrainement comme je peux mais force est de constater que les séances « quali » ne passent plus du tout. Mon niveau s’est certes écroulé mais surtout, il faut deux jours à mon dos pour se remettre. Gainage, abdos, rien n’y fait, certains matins je me demande bien ce que je vais faire du reste de ma vie… Franchement encore 40 ans comme ça ? Pas sure de vouloir signer où que ce soit ! J’interroge à droite, à gauche des spécialistes de tout bord mais l’avis est unanime, à ce stade, on ne peut plus grand-chose. J’en viens même à tester deux ou trois antidouleurs, même pas pour courir, juste pour vivre correctement au quotidien mais force est de constater que ça ne me soulage pas. J’abandonne donc cette piste aussi vite que je l’avais imaginé. Je fais le salon du running avec ma ceinture de soutien planquée sous mon pull…

 

Jour après jour, je me marre en me disant que Bobbi a été la première femme à le finir et je m’apprête à être la dernière femme à le finir pour fêter dignement le 50ème anniversaire de ce jour historique. Bon que les choses soient claires, je n’en ai strictement rien à faire de finir dernière, ça m’est déjà arrivé et je ne me suis pas mise en boule en pleurant et en tapant des pieds non plus, ça fait partie du jeu. Le souci c’est que je me dis, à tort d’ailleurs, que la très grande majorité étant là par temps qualif, je ne vais peut-être même pas passer les barrières horaires, si elles existent ! Je fouine un peu mais je ne trouve rien de spécifique à ce sujet, ça ressemble à tous les marathons américains, ce qui me rassure un peu. Et je découvre jour après jour, pleins de choses que je ne savais pas sur cette course comme le fait que la très grande majorité des coureurs engagés n’ont pas réalisé eux-mêmes ce foutu temps. En fait comme dans beaucoup de courses aujourd’hui, les charities ont pris une importance colossale. Il suffit donc de collecter une certaine somme pour avoir le droit de courir. En 2015, c’est un peu plus de 28 millions de dollars qui furent ainsi collectés pour une trentaine d’associations sélectionnées par l’organisation. Chaque coureur doit récolter 5000$ minimum pour décrocher son ticket d’entrée et pour info, on peut le faire du monde entier, aucune obligation d’être américain pour cela. La plupart offre ensuite un accueil VIP à leurs gentils donateurs que ce soit au départ ou à l’arrivée. Cela a un avantage énorme pour moi, parce qu’en partant dans les deux vagues spéciales charities, je ne serai pas laissée sur place par les coureurs nettement meilleurs que moi ! C’est bête à dire mais ça m’arrange quand même bien cette histoire et me rassure un peu.

 

Autre découverte, l’organisation un peu compliquée en théorie mais rudement pratique en réalité. L’organisation assure elle-même l’acheminement de 30 000 coureurs au départ avec des bus jaunes, vous savez les fameux bus scolaires que l’on voit dans tous les films américains ? Vous êtes convoqué dans ce qu’on pourrait qualifier de Central Park made in Boston à une heure précise, qui correspond à l’heure de départ de votre vague. Concrètement, je suis montée dans le bus à 9h, j’ai mis une bonne heure pour arriver au départ, le temps de comprendre comment fonctionnait le village des coureurs, de faire la queue aux toilettes (par centaines comme toujours aux USA !), de ranger mon petit bazar dans ma ceinture et hop il était temps de partir dans mon sas. Mais pour dire les choses clairement, j’ai pris le départ du marathon alors que la première franchissait la ligne d’arrivée ! Ce que cela veut surtout dire, c’est que vous oubliez les souvenirs des heures d’attente à New York pour ceux qui les ont connues, ici, rien de tout cela, l’efficacité règne ! Et je l’ai constaté dès le retrait du dossard. Alors que nous sommes allés au Running Expo le samedi en fin de matinée, je récupère mon saint graal en 10 min chrono et encore parce qu’on a pris le temps de faire quelques photos… C’est ensuite que ça se gâte lorsque nous rentrons dans le temple du shopping running. Parce que s’il y a un truc pour lequel les Américains sont plus doués que nous c’est quand même bien dans ce domaine. Et là j’avoue qu’ils font très forts. J’ai toujours vu depuis que je cours des personnes porter fièrement la veste Adidas customisée spécial Boston. J’avoue que je pensais que comme à La Rochelle où le coupe-vent est offert aux finishers, celle-là faisait partie du package, comme la polaire de l’UTMB quoi ! Eh ben non, il faut l’acheter si tu veux l’avoir ! Le cadeau, c’est un t-shirt pas mal question qualité, soyons quand même honnête mais dont tout le monde se fout un peu… J’ai dû voir deux ou trois coureurs le porter ! A 110$ la veste à acheter en plus du dossard à 350$, je vous laisse calculer vous-même. Et croyez-moi sur parole, très peu de coureurs repartent sans ! Et moi me direz-vous ? J’ai craqué évidemment mais pour un autre modèle, plus classique et moins cher parce que franchement cette année le vert et rose, bof bof, pas trop ma came. A ce prix-là, autant se ramener un souvenir qu’on va vraiment vouloir porter.

 

Je l’ai prise en noire, elle existait pour femmes !

Petit tour sur le salon ensuite, pas trop long non plus parce que mon homme est là et qu’il déteste deux trucs : la foule et les gens qui courent ! En passant devant le stand de Clif, je découvre que j’ai raté de quelques minutes le célèbre Scott Jurek que j’ai déjà rencontré plusieurs fois dans le cadre de mon travail. Je ne pensais pas qu’un traileur serait présent sur un marathon même si son profil très particulier d’excellent coureur d’ultra sur route justifiait quand même qu’il passe faire coucou pour donner des conseils. Du coup je me rabats sur leur purée de patates douces conditionnée en flasque pour goûter un peu et le pire c’est que c’est bon ! Ou alors c’est que je commence à avoir vraiment faim… L’homme étant dans le même état que moi, nous repartons vers le restaurant que nous avions repéré sur notre route, histoire de nous poser un peu. Nous avions bien pris soin de vérifier qu’ils ne servaient pas de pâtes pour être tranquille, sans aucune veste rose et verte à l’horizon. La gentille dame nous conduit à notre table et nous installe à côté de, je vous donne en mille, Scott et sa charmante épouse ! Le restaurant est d’inspiration française et le premier truc qu’on t’amène sur la table c’est une corbeille de pain. Alors que je vois Scott tremper allègrement le sien dans une petite assiette remplie d’huile d’olive, j’avoue que pendant 2 min je me dis « mince ici aussi ils servent du pain sans gluten ». Que nenni ! C’est un vrai pain de campagne comme chez nous qu’il a l’air de bien apprécier puisqu’il s’enfilera une deuxième corbeille dans la foulée. Je ne lui en parlerai pas, parce que franchement ça m’amuse plus qu’autre chose et surtout parce que le vrai seul sujet qui l’occupe en ce moment, c’est l’arrivée d’un bébé pour le début de l’été. Il n’a donc pas de réels projets running pour le moment, il décidera en fonction de cet événement. Il finira par courir le marathon le lundi en compagnie de Christy Turlington, mannequin célèbre et grande runneuse devant l’éternel alors qu’elle est surtout connue pour sa passion du yoga et qui profite de ses marathons pour collecter des fonds pour la fondation  Every Mother Counts qu’elle a créée après avoir vécu une première grossesse compliquée et découvert le drame toujours réel de la mortalité maternelle.
La minute people étant finie, il est temps de revenir à nos moutons, à savoir le marathon. Il se court le lundi matin, jour férié exclusivement dans cette ville pour célébrer le Patriot Day de Boston (pour les USA c’est une autre date). La tradition perdure depuis 120 ans donc aucune raison de changer le truc. Le principe est donc simple : marathon en ligne avec un départ relativement improbable dans une petite ville à 42km de Boston. Il y a quand même deux ou trois trucs à savoir pour éviter les erreurs comme moi… Je m’étais basée sur l’organisation à la mode New York sans vraiment aller plus loin je l’avoue. On m’a remis le même sac transparent lors du retrait du dossard, le même système d’étiquette à coller dessus, à aucun moment je n’ai envisagé que je ne pourrais pas laisser de sac au départ… Mais en relisant les papiers un peu plus sérieusement et surtout en mettant enfin un nom et un emplacement sur les rues, je comprends mon erreur. Ton sac transparent, tu le laisses avant de monter dans le bus ! Ce qui veut dire qu’il faut absolument prévoir une tenue à laisser sur place, qui là, comme à NY, sera récupérée par les associations d’aide aux sans-abris. Seulement moi dans la valise, il n’y a pas vraiment de truc à laisser sur place… J’avais emmené avec moi une veste GORE bien chaude pour patienter, vous vous doutez bien que je ne comptais pas la laisser sur place ! Heureusement il ne fait pas aussi froid qu’on pouvait le penser et je finis par acheter un t-shirt en coton version XXXL pour me blottir dedans.
Départ du bus et la première question que mon voisin me pose est : « vous courez pour quelle charities ? »… Ah mince… Déjà que les Français n’ont pas forcément bonne réputation, je vais devoir lui expliquer que je cours pour rien, enfin si, rien que pour moi… Quoique je suis un peu une cause perdue non ? Arrivée sur la zone de départ et je comprends tout de suite pourquoi cette organisation s’est mise en place naturellement : stocker plus de 30 000 coureurs sur le terrain de sport du collège n’était tout simplement pas possible. Ils arrivent tout de même à installer des dizaines de toilettes comme savent si bien le faire les Américains, à proposer une tente ravitaillement avec boissons chaudes et fruits sans oublier les traditionnels bagels étouffe-chrétiens, mais aussi un stand Clif avec distribution gratuite de toute leur gamme si jamais t’as oublié un truc. Je constate aussi très vite un truc : il fait chaud… très chaud… trop chaud pour un marathon alors qu’il n’est que 10h30 du mat. Après avoir fait sagement la queue pour les toilettes, je m’installe dans un coin de la pelouse pour faire l’état des lieux de mon petit bazar. Je sais que certains aiment ou tout du moins s’intéressent à ce genre de détails alors je vous dirais tout dans un article debrief matos comme j’en ai l’habitude. Pour résumer, et comme à mon habitude, j’ai tout neuf sur moi ou presque ! La tenue (pour le coup mauvaise, très mauvaise idée mais ça je ne sais pas encore…), nouvelle ceinture, nouvelle alimentation, nouveau casque sans fil, il n’y a que les chaussures et la montre qui ne soient pas neuves ! Au bout d’un quart d’heure, je dois rejoindre mon sas de départ sans avoir finalement ni eu froid ni attendu bien longtemps. Au bout de 5 minutes à peine, le convoi se met en route pour la ligne de départ officielle, traversant la petite ville bien calme à mon goût. Il y a fort à parier que la plupart des habitants sont bénévoles et trop occupés pour faire la claque.
Sur le parcours, j’aperçois un stand qui distribue de la crème solaire et après 2 sec d’hésitation je fais marche arrière pour aller me crémer parce que là vraiment ça tape de plus en plus fort. Et c’est là que je commets ma première erreur qui me fait plutôt rigoler aujourd’hui. J’ai voulu faire ma belle et je me suis offert le « tank » floqué aux couleurs du marathon (débardeur bien dégagé à l’arrière pour ceux qui ne parlent pas mode !). Je me crème les bras, le visage, je pense même à mes oreilles, derrière les genoux parce que je brûle toujours là mais j’oublie totalement les omoplates qui ne sont pas planqués sous un t-shirt comme d’habitude… Je vous évite le suspense insoutenable, je suis cramée dans le dos ! Ce n’est pas de l’arnica qu’il me faut, c’est de la biafine là… Mais bon franchement je ne vais pas me plaindre, il y a plus grave et le plus grave, je l’ai déjà autour de moi. Le souci lorsque tu prends le départ au milieu des « charities » c’est que tu te sens bien peu de chose. Devant moi le sas 5 est en partie destiné à accueillir les non-voyants avec leur guide. A mes côtés, j’ai tout un groupe de vétérans de l’armée américaine amputés au-dessus du genou d’une ou des deux jambes qui s’apprêtent à courir 42km sur des spatules et autant faire un sprint sur piste ça a l’air possible, autant 42km ça m’a l’air d’être un peu plus compliqué… Je vais d’ailleurs croiser sur mon parcours une jeune femme, héroïne de cette édition qui faisait partie des victimes de l’attentat. Elle était spectatrice et c’est après avoir perdu sa jambe qu’elle a décidé de commencer à s’entraîner pour faire ce foutu marathon qui a bouleversé sa vie à jamais. Sincèrement l’ambiance est lourde, pesante, on est à des années lumières de la fête de NY. Le recueillement et la solidarité sont plutôt à l’ordre du jour.

 

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Le départ est donné avec un léger retard, je m’élance enfin alors que la première femme, 42km plus loin passe la ligne d’arrivée ! Et là stupeur, ça part en descente ! Mais quand je dis en descente c’est vraiment descente ! Hélas ça ne va pas durer assez longtemps à mon goût et je découvre rapidement ce que va être ma course : une succession de montées, de faux plats et de descentes jamais assez longues à mon goût. Même si ce n’est surement pas la réalité, je vous jure j’ai eu l’impression de ne courir sur du plat qu’à la fin pour les 4 derniers miles ! En attendant, je dois trouver mon rythme, ce qui est loin d’être évident. Nous ne sommes pas dans un sas de niveau, il y a donc de tout, sachant qu’il y a aussi d’excellents coureurs qui ont fait le choix de courir pour une association alors qu’ils pourraient très bien prétendre au temps qualif. Sincèrement, il m’a fallu attendre le troisième mile pour que ça devienne moins chaotique et que tout le monde ait trouvé sa place. Non pas que j’ai été gênée pour courir, mais entre ceux qui doublaient et ceux qui ralentissaient déjà, il fallait s’organiser un peu et ne pas relâcher l’attention. Revenons-en au parcours, bucolique à souhait ! Nous traversons régulièrement des petites villes qui se sont vidées de leurs habitants pour venir nous encourager sur les trottoirs. Pas une maison qui n’ait installé un camp de base dans son jardin pour nous acclamer. Le souci c’est qu’il va être midi et qu’il fait beau ! Du coup c’est ambiance barbecue, bière fraîche et hot dog ou hamburger. Je me marre parce que je me dis que vraiment entre ceux qui sont partis à 9h30 et notre groupe c’est clairement un autre marathon qu’ils ont dû voir.

 

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Les ravitaillements sont nombreux, presque trop (j’ai eu l’impression de faire la course sur un tapis de gobelets en carton !) mais avec la chaleur qui monte, monte et le soleil qui tape, ils sont bienvenus. Comme toujours là-bas on alterne gatorade et eau, le solide n’existant pas sur les marathons américains. Parmi mes moments préférés du parcours, je ne suis pas prête d’oublier un moment totalement surréaliste où nous longeons un bar genre bikers. Il y a là 200 personnes au moins pour nous encourager. La musique résonne à fond plusieurs minutes avant même que nous arrivions sur place et ce n’est pas du Mozart mais forcément du hard rock. Au moment où j’arrive, AC DC se lance sur son autoroute de l’enfer à plein régime. Et là tout le public reprend le refrain hurlant et brandissant son verre de bière à la main ! Si tu ne fais pas le MDS, le MDS vient à toi ! Je vous jure, j’en ai encore des frissons rien que d’y penser. Je crois que ça restera mon meilleur moment de la course. Parce que question perso, on va dire que très vite j’ai compris que ça allait être compliqué… très compliqué… Entre la fatigue accumulée depuis des semaines, le voyage, les 2 jours de marche avant et ma préparation chaotique, c’est très vite la bérézina. On va dire pour faire court que jusqu’au semi ça s’est passé correctement mais comme à Paris, comme à NY, au-delà ça devient très compliqué. Je ne vais pas vous ressortir mon complet sur mes problèmes de dos, tout le monde le sait et ça n’a rien de bien passionnant. Mais disons qu’entre les moments où je dois marcher, où je dois m’arrêter pour m’étirer un peu et soulager tout mon corps qui se venge de mes petits délires, je me suis souvent demander ce que j’avais fait dans une vie antérieure pour m’imposer un truc pareil.
Comme à NY je lâche prise sur le chrono parce que franchement ça me file le bourdon et me donne juste envie de foncer dans une tente médicale pour demander qu’on me rapatrie à Boston. Je n’ai aucun souci avec le fait de mettre autant de temps pour faire 42km, c’est juste que je voudrais le faire sans souffrir et le sourire aux lèvres ! Bon du coup, ça me laisse le temps de penser, ce qui n’est jamais bon pour moi d’ailleurs. Il ne faut surtout pas que je pense quand je cours, il n’en ressort jamais rien de bon. Entre le « j’arrête définitivement de courir et je me fous au tricot » à « mon prof de sport au collège avait raison, tu n’es qu’une grosse nulle en sport de toute façon », franchement ce n’était pas folichon, folichon cette histoire. Heureusement le public est là pour te redonner le sourire et te convaincre que même si tu ne vas rien gagner aujourd’hui, tu as le droit d’avancer. Et puis il y a ces fameux moments qui ont fait la légende du marathon de Boston avec les filles de l’université de Wellesley qui sont toutes là à hurler qu’on les embrasse en passant. On les entend au moins 5 minutes avant de les voir enfin. Sachant que l’université a accueilli sur ses bancs des personnalités comme Hillary Clinton ou Madeleine Albright, je me marre en me disant que si les réseaux sociaux et les selfies avaient existés de leur temps, ça nous aurait donné des images rigolotes. La politique est en tout cas bien présente et les pancartes menacent d’un vote pour Trump si on ne les embrasse pas, là tout de suite maintenant.

 

En tout cas moi je ne risque pas de les rater parce que j’ai à mes côtés une jeune femme qui apparemment est étudiante dans l’établissement et qui va avoir le droit à un accueil comme seuls les Américains savent le faire. Elles sont des dizaines à l’acclamer, et surtout une dizaine à partir avec elle pour continuer un peu sa route en faisant autant de bruits qu’il est possible d’en faire. Je n’ai pas branché la musique de mon tom tom mais de toute façon, avec le boucan qu’elles font, je pense sincèrement que je n’aurais pas pu entendre la moindre note. Un enthousiasme pareil, on n’est pas prêt de le voir à Paris, c’est moi qui vous le dis ! En attendant, je continue à avancer comme je peux, buvant régulièrement, gobant mes gels et autres pâtes de fruits (je suis en mode test !), histoire de garder un peu d’énergie. Les petites villes s’enchaînent, les miles aussi. Je compte toujours en miles aux US, ça passe plus vite ! Les constructions sont de plus en plus nombreuses et je comprends qu’enfin je suis proche de Boston. Je serre les dents en détournant le regard de la ligne de métro que nous longeons et qui comme les sirènes d’Ulysse m’appellent… « viens sur nos banquettes, viens ici tu seras bien » et pour avoir envie de monter dans le métro à Boston faut vraiment être épuisée, il est tout pourri ! Et puis je pense à ce coureur que j’ai vu assis sur un trottoir, sa prothèse posée à côté de lui et qui masse son moignon pour le soulager… Et intérieurement je crie aux sirènes « vos gueules les filles ».

 

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40ème km, la ligne est droite, la fin approche, le public est là, nombreux à nous acclamer. Je sais que je devrais tourner à droite à un moment pour ensuite au bout de 200, 300m tourner de nouveau à gauche pour attaquer les 500 derniers mètres qui me séparent de cette foutue ligne d’arrivée. Quand j’entame le premier virage, les vannes lâchent, les flots de larmes arrivent, impossible de les contrôler. J’ai le sentiment que mon corps entier n’est que souffrance, franchement je crois qu’il n’y a que mes pieds qui vont bien, un comble quand même. Lorsqu’enfin j’aperçois la ligne, je tente de me redresser histoire que le public ne prenne pas peur en voyant débarquer un pantin désarticulé qui tente d’avancer tant bien que mal. A quoi je pense ? Facile… plus jamais… plus jamais ça. Je suis incapable de m’arrêter de sangloter, ce qui a quand même tendance à affoler un peu les bénévoles présents pour nous accueillir et nous guider. Ils me demandent tous si j’ai besoin du médical mais je les rassure en leur disant juste que j’ai besoin que ça sorte. Et l’une d’entre elles me dira « ah mais vous avez juste besoin d’un câlin alors, venez par-là » et moi de sangloter dans les bras d’une mama américaine… Je récupère ma médaille, je me couvre de ma couverture de survie, j’attrape au vol le sac de ravitaillement et je file aussi vite que mon corps meurtri me le permet vers la « family zone » où Guillaume m’attend. Là tout de suite maintenant, j’ai besoin d’un visage ami !

 

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Il m’a fallu quelques minutes pour reprendre mes esprits, me changer, me moucher et enfin réaliser que j’étais bien arrivée à Boston, que je venais de parcourir tant bien que mal 42km en courant, en trottinant, en marchant il est vrai par moment mais en avançant coûte que coûte vers l’objectif que je m’étais fixée. Evidemment ce n’était pas la course que j’aurais voulu faire mais c’est ce que j’ai pu faire de mieux ce jour-là et c’est tout ce que je retiens. Maintenant je peux baisser le rideau de cette part de ma vie. J’ai couru 41 marathons sur les 7 continents et j’ai même couru Boston alors c’est bon ! Evidemment si l’organisateur du marathon de l’Arctique veut m’inviter… On réfléchira à un petit 42ème mais après promis c’est fini !